En couple

roman de Coline PIERRÉ

- Tu dis ça parce que t'es casée.
"Casée". Mise en case. En cage ?

Bahia, 17 ans, est en terminale. Féministe, indépendante et déterminée, elle rêve de devenir cinéaste. Elle vit une histoire d'amour avec Milosh, mais leurs ami·es semblent tous avoir un avis sur leur couple : sont-ils faits l’un pour l’autre? quand doivent-ils faire l’amour pour la première fois? quels compromis pour être en couple? Bahia ne voulant pas être seulement "la moitié d’un couple", décide de mettre fin à sa relation avec Milosh.

Mon avis :

"Je t'aime, mais je ne veux plus être avec toi" : alternant récit et commentaires, Bahia revient sur son histoire d'amour avec Milosh afin de (lui) faire comprendre pourquoi elle y met fin.

"Je ne veux être tributaire que de moi-même". Depuis qu'elle sort avec Milosh, dont elle est pourtant folle amoureuse, Bahia a le sentiment de ne plus exister en dehors du couple. Elle souffre surtout de "l'intrusion du groupe [d'ami·es] dans notre histoire": chacun·e y va en effet de son allusion, de sa question ou de son commentaire, au point de ne pas cesser d'y penser lorsqu'ils sont en tête à tête ("Tout le monde projette des trucs sur moi, sur notre intimité, sur mon futur, sur notre futur à tous les deux"). Parfois même, "ils parlaient de nous comme si on n'était pas là". Par ailleurs, Bahia ne peut "envisager de rogner sur mes rêves" (elle vise une prépa cinéma loin de chez elle) car "un amour qui n'est pas assez solide pour résister à l'ambition d'une femme, ce n'est pas un amour qui mérite qu'on le préserve".

Tout le roman m'a littéralement happée tant est subtile l'analyse des sentiments de Bahia et tant ses interrogations sonnent juste (pour une femme de mon âge tout au moins). Il est question d'équilibre entre relation amoureuse et individualité, s'investir dans le couple sans perdre sa liberté. "Mon "je" est en train de disparaître", constate la jeune femme, "je disais chaque fois "Milosh et moi"".

Et puis il y a le poids de la société patriarcale, qui enferme dans des cases, alors qu'il faudrait développer la sororité ("construire des amitiés et des solidarités féminines pour sortir de la concurrence entre femmes, pour lutter contre les violences sexuelles et pour renforcer notre pouvoir").

L'autrice a su trouver les mots pour exprimer tout cela mélangé, l'engouement de l'amour, la découverte de l'érotisme ("Il fallait composer avec ces corps qui n'étaient pas ceux qu'on aurait rêvé de donner à voir et à toucher à l'autre"), la peur de l'engagement, les hésitations et les doutes. Il est étonnant que Bahia, si jeune, s'interroge déjà (les propos tenus sont davantage cohérents chez sa maman divorcée) et en même temps le personnage donne l'espoir que les nouvelles générations de femmes briseront enfin les modèles familiaux surannés et malgré tout si tenaces.

Patricia Deschamps, janvier 2024

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