Thornhill

roman graphique de Pam SMY

- Non, je ne suis pas pathétique. Je fabrique des figurines et j'aime les livres et je ne fais de mal à personne. J'ai supporté cet endroit et toi sans être désagréable, ni méprisante, ni méchante. Mais toi... non ! Ça fait de toi un monstre. C'est toi qui es pathétique.

Rouergue, 2019, 544 p. (Epik)
Rouergue, 2019, 544 p. (Epik)

1982. Dans une petite ville d'Angleterre se dresse Thornhill, une inquiétante demeure victorienne qui accueille des jeunes orphelines. Mary est l'une d'entre elles. Introvertie et rêveuse, elle passe des heures à fabriquer des poupées seule dans sa chambre. Mais son fragile univers va être bouleversé par le retour d'une pensionnaire... Elle est revenue à Thornhill, et tout va recommencer.

 

2017. Ella vient d'emménager dans sa nouvelle maison. Entre le travail prenant de son père et la mort de sa mère, Ella passe beaucoup de temps seule, notamment dans sa chambre qui donne sur l'ancien orphelinat en ruine. Jusqu'au jour où elle aperçoit dans les jardins de Thornhill une jeune fille de son âge...

 

Mon avis :

lire un extrait
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Tout commence avec un beau livre-objet qui, vu son épaisseur et ses pages teintées de noir, a l'aspect d'une boîte mystérieuse. Quand on l'ouvre, on est saisi par l'intensité des illustrations pleine page, sans paroles. Et puis l'on se plonge dans le journal, entre peur et mystère.

 

Mary est une fillette traumatisée. Si traumatisée qu'elle n'ose pas nommer et encore moins regarder celle qu'elle craint tant à l'orphelinat. On ne tarde pas à comprendre pourquoi: "J'étais sûre qu'elle allait recommencer à me harceler". En parallèle, à travers la partie illustrée, on suit la jeune Ella dans ses expéditions jusqu'à la "maison hantée" qu'est devenue Thornhill abandonnée. "Entrée interdite", "danger", barbelés et végétation dense, tout est fait pour dissuader les curieux. Mais Ella est intriguée par la silhouette qu'elle a aperçue depuis la fenêtre de sa chambre...

Et l'on alterne ainsi du (journal) passé au (graphisme) présent, en un va-et-vient de plus en plus sombre au fur et à mesure que les éléments s'imbriquent et que les situations des deux héroïnes se font écho. On réalise en effet que Ella se sent toute aussi seule et malheureuse que Mary: elle aussi évolue sans parents puisque sa mère est décédée (j'ai trouvé émouvante la photo de celle-ci accrochée dans sa chambre et signée d'un "je t'aimerai toujours, maman"), et que son père est constamment absent pour le travail. Ainsi, toutes deux sont en manque d'amour...

 

Pour échapper à sa tortionnaire, Mary s'enferme dans son "jardin secret", qui représente à la fois son livre préféré (célèbre classique anglais de Frances H. Burnett), sa chambre où elle passe des heures à confectionner de petites figurines inspirées par ses lectures, et un coin de verdure du parc entourant Thornhill où elle aime se réfugier. Petit à petit on en apprend plus sur elle, notamment qu'elle a un trouble du langage, un "mutisme sélectif" qui l'empêche de parler à voix haute devant les autres, sans que l'on sache vraiment si c'est la cause ou la conséquence de son rejet. Malgré la tendresse et les petites attentions de Kathleen la cuisinière, "ma vie est un cauchemar", entre railleries et mauvais tours orchestrés par l'autre orpheline et ses complices. Thornhill devient un huis clos oppressant, on sait qu'on avance inéluctablement vers une tragédie, au fur et à mesure que Ella découvre les vestiges de la vie passée de Mary (une tête de poupée abandonnée, une statue recouverte de lierre, des inscriptions sur les murs du couloir)... Celle-ci nous touche par son désespoir ("A l'intérieur, je suis brisée") et en même temps par ce courage qu'elle a d'affronter la situation jusqu'au bout.

A force de se croiser, les deux histoires se rejoindront pour un final poignant... mais pas une fin, car des enfants délaissés, malheureusement, il y en a tant...

 

Patricia Deschamps, octobre 2019

L'avis d'Anaïs, en 3e :



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