Rose sous les bombes

roman de Elizabeth WEIN

Je suis terrifiée de voir que les Allemands refusent de lâcher quoi que ce soit. Je suis terrifiée de les voir s'accrocher bec et ongles aux ports français et belges, bien qu'ils aient été chassées de presque toute la France. Ils ont perdu. (...) Qu'ils battent en retraite ne devrait pas nécessiter un an de plus.

Castelmore, 2015, 347 p.
Castelmore, 2015, 347 p.

Août 1944.

Rose est une jeune Américaine de dix-huit ans installée depuis peu en Angleterre. Fille du directeur d'une école de pilotage, elle est recrutée par l'ATA (Air Transport Auxiliary) afin de livrer des avions pour la Royal Air Force, à destination de la France. Car malgré le Débarquement, les Alliés peinent à libérer le pays des Allemands.

 

Mais voilà que Rose disparaît du jour au lendemain... Au camp de la Croix-Rouge où elle a dormi cette nuit-là, on n'a retrouvé que son carnet de poésie, offert par son amie Maddie. Tous la pensent morte.

 

Mais en réalité, Rose a été déportée au camp de Ravensbrück, en Allemagne...

Mon avis :

Un roman ultra documenté sur le seul grand camp de concentration réservé aux femmes.

La première partie nous fait partager le quotidien de Rose en tant que pilote. Jeune femme pleine de vie et de détermination, l'Américaine est fière de porter l'uniforme de l'ATA, trop souvent réservé aux hommes. Son oncle la compare d'ailleurs à la célèbre Hanna Reitsch, "le pilote le plus casse-cou d'Allemagne" (héroïne de la bande dessinée Dent d'ours). Entre deux missions, comme toutes les filles de son âge, Rose donne rendez-vous à son petit ami Nick ("Je ne laisserai pas cette guerre me voler ma vie"). Et puis elle aime écrire des poèmes, sur tout et n'importe quoi, le mariage de Maddie, les raids aériens, le mal du pays. Mais la fascination de Rose pour les "bombes volantes" allemandes finit par détruire ce bonheur fragile...

 

On la retrouve six mois plus tard, à sa sortie de Ravensbrück. Malgré le Débarquement allié, malgré leur défaite, les Allemands ont continué à remplir les camps : c'est une "guerre sans fin". Seule dans sa chambre d'hôtel, Rose tente de se reconstruire. Et surtout, elle écrit, consignant tous ses souvenirs parce qu'il est primordial d'informer les gens de ce qui se passait dans ces camps : "Je le dirai au monde entier". Le texte est à la fois impitoyablement réaliste et profondément humain, l'auteur s'étant inspirée d'authentiques témoignages de survivantes. Aux côtés de Rose pour mieux supporter les humiliations et les coups, la faim et le froid, la saleté et les maladies, il y a une panoplie hétéroclite de prisonnières politiques : Elodie la résistante française, Irina la pilote russe, Karolina la cinéaste polonaise, Lisette la romancière Lagermutter ("mère de camp")... Sans oublier Roza, l'un des Lapins (cobayes) sur qui les nazis ont opéré d'atroces expérimentations chirurgicales... Dans l'horreur du camp, l'amitié est indissociable de la survie. Avec ces filles du Bloc 32, Rose trouvera la force de traverser les épreuves - les interminables Zahlappell (l'appel pour les compter) et les Strafstehen (punitions debout, pendant des heures voire des jours), les bombes à fabriquer dans l'usine Siemens, les chaussettes à tricoter pour les nazis, les cadavres à déshabiller et évacuer... Et sans cesse, pour tenir le coup, il y a les poèmes, ceux que Rose récite et ceux qu'elle invente, pour rendre, pendant quelques instants, l'insupportable un peu plus supportable.

 

La dernière partie raconte le lent retour à la vie de l'héroïne, déchirée entre la nécessité de témoigner (notamment au procès Nuremberg) et son incapacité à parler, même avec ses proches. On y prend conscience de cet "après", pas si souvent évoqué, et pourtant terrible pour les rescapés. Jusqu'à ce qu'un jour "l'espoir s'envole / Fermement attaché / Au bout de sa ficelle", tel un cerf-volant.

Un roman fort et touchant, pour ne jamais oublier.

Patricia Deschamps, mai 2016

voir la sélection "Seconde Guerre mondiale"
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