Oscar et la dame rose

roman d'Eric-Emmanuel SCHMITT

Des pensées que tu ne dis pas, ce sont des pensées qui pèsent, qui s'incrustent, qui t'alourdissent, qui t'immobilisent, qui prennent la place des idées neuves et qui te pourrissent.

Le livre de poche, 2021, 96p.
Le livre de poche, 2021, 96p.

Oscar est un petit garçon leucémique de dix ans qui vit désormais à l’hôpital. Même si personne n’ose le lui dire, il sait qu'il va mourir. Chaque semaine, parmi les dames en blouse rose qui viennent passer du temps avec les enfants malades, il y a Mamie-Rose qui lui propose, pour qu'il se sente moins seul, d'écrire à Dieu.

Oscar écrira douze lettres pendant les derniers jours de son existence. Il y retranscrit les longues conversations qu'il a avec Mamie-Rose ainsi qu'avec ses camarades malades. Douze jours qui concentrent les interrogations sur la souffrance et la mort qu'un homme peut mettre toute une vie à formuler. Douze jours entre réflexion et humour afin d'accepter l'inévitable.

Mon avis :

L'histoire touchante d'un petit garçon leucémique devant gérer sa peur de mourir (et celle des autres).

Chaque année au moment de l'inventaire, ce roman me faisait de l’œil sans que je ne prenne jamais le temps de le lire. Comme j'ai bien fait de le mettre dans ma PAL, cette fois! D'ordinaire je déteste les histoires tristes mais les thèmes de celles-ci sont abordés avec tellement d'humour et de philosophie que je me suis d'emblée laissée emporter par la verve du petit Oscar.

 

D'entrée, celui-ci exprime un regard désabusé sur les adultes. Pour le docteur Düsseldorf, "je suis devenu un mauvais malade, un malade qui empêche de croire que la médecine, c'est formidable". L'opération a en effet raté et tous le savent condamné sans oser le formuler clairement. Quant à ses parents, ce sont "deux crétins" qui ne savent pas comment gérer leur angoisse (et la sienne). Non seulement ils sont trop maladroits pour être d'un quelconque soutien, mais de plus ils lui rappellent cruellement "le temps d'avant" quand tout allait bien ("Moins ils osent me parler, plus j'ai l'impression d'être un monstre").

 

Seule Mamie-Rose trouve grâce à ses yeux. Ce n'est pas sa véritable grand-mère mais une bénévole, cependant la relation qu'ils entretiennent est tout comme ("Elle a une façon de parler qui donne de l'énergie"). Mamie-Rose est une sacrée vieille dame! Ancienne catcheuse (prétend-elle), elle raconte de truculentes anecdotes sur son passé d’Étrangleuse du Languedoc avec un franc-parler qui détonne dans cet hôpital ("Vous dites de vilains mots"). Les discussions qu'Oscar rapporte sont très drôles, tout comme sa description de ses camarades malades: son copain Bacon le grand brûlé, Einstein qui "a la tête qui fait le double de volume. Il paraît que c'est de l'eau à l'intérieur. C'est dommage, ç'aurait été de la cervelle, il aurait pu faire de grandes choses.", Pop Corn qui est là pour maigrir, Sandrine "la Chinoise" qui porte une perruque et la belle Peggy Blue à qui une maladie cardiaque donne la peau bleutée.

 

Cet humour vient contrebalancer le déni: "Si tu dis "mourir" dans un hôpital, personne ne t'entend". Et c'est bien pour cela que Mamie-Rose suggère à Oscar d'écrire des lettres à Dieu: pour exprimer, pour évacuer tout ce qu'il ressent, sans tabou. Elle va aussi démontrer qu'on peut tout expliquer à un enfant, même la mort (et tout ce qui y est lié: le sentiment d'injustice, la souffrance physique et morale, la culpabilité d'imposer un deuil "contre-nature" aux autres) et ainsi à envisager la situation avec le plus de sérénité possible. Mamie-Rose va notamment encourager Oscar à vivre sa vie en accéléré: il lui reste douze jours à vivre, qu'il agisse comme s'il prenait dix ans quotidiennement. Elle va ainsi pousser Oscar à profiter de ses derniers instants de vie au lieu d'attendre la fin avec résignation. En commençant par aller parler à Peggy Blue dont il est secrètement amoureux et à rétablir le dialogue avec ses parents.

 

On voit ainsi Oscar devenir philosophe au fil des pages, allant jusqu'à faire la leçon aux adultes ("Docteur Düsseldorf, arrêtez les airs coupables. Ce n'est pas de votre faute si vous êtes obligé d'annoncer des mauvaises nouvelles aux gens. Faut vous détendre (...), relâcher la pression, sinon vous n'allez pas pouvoir continuer ce métier longtemps.")! Et même si "les questions les plus intéressantes restent des questions", il comprendra que l'essentiel est de "regarder chaque jour le monde comme si c'était la dernière fois", pour le quitter sans regrets.

 

Patricia Deschamps, décembre 2022


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