Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran

roman d'Eric-Emmanuel SCHMITT

Arabe, ça veut dire "ouvert de huit heures du matin jusqu'à minuit et même le dimanche" dans l'épicerie.

Le Livre de poche, 2012, 96p.
Le Livre de poche, 2012, 96p.

 

Paris, rue Bleue, dans les années 1960. Moïse, onze ans, mal aimé, supporte comme il le peut de vivre seul avec son père. Monsieur Ibrahim, le vieux sage, tient l'épicerie arabe et contemple le monde de son tabouret. Un jour, le regard de monsieur Ibrahim rencontre celui de Momo et, de conversation en conversation, la vie devient plus souriante, les choses ordinaires extraordinaires...

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Emballée par Oscar et la dame rose du même auteur, je continue la lecture des petits romans niveau collège (bien que celui-ci commence par "Je suis allé chez les putes"...) d'Eric-Emmanuel Schmitt trouvés dans mon CDI. Il y est aussi question de relation avec un adulte extérieur à la famille qui vient combler les manques de celle-ci et contribuer à l'apprentissage de la vie du jeune héros.

 

Écrit à la première personne, le texte immerge dans l'esprit de Momo (pour Moïse) pour qui le voisin épicier n'est qu'un vieux sage arabe posté immuablement sur le tabouret devant son magasin ("depuis au moins 40 ans"). D'emblée s'imposent quelques éclaircissements auprès de cet adolescent juif entre "arabe" (dénomination géographique) et "musulman" (dénomination religieuse): "Je ne suis pas arabe, je viens du Croissant d'Or" (la Turquie). Ce Monsieur Ibrahim va peu à peu "fissurer le monde des adultes", ce "mur uniforme" dont Momo n'a qu'une seule représentation: son père.

 

Le père de Momo est un homme méfiant et méprisant. Quand Momo, encouragé par Monsieur Ibrahim, s'efforce de sourire aux gens qui le lui rendent bien, son père le rabroue ("Toi, tu as fait une connerie") et l'humilie ("Il va falloir te mettre un appareil"). Par ailleurs plane constamment le souvenir pesant du grand frère parfait (mais absent), Popol. Difficile de s'épanouir dans ces conditions...

 

C'est par la conversation que le vieil épicier s'installe peu à peu dans une figure paternelle alternative et positive. Chaque incident est l'occasion d'une leçon de vie donnée sans en avoir l'air, en discutant, ce qui contribue d'ailleurs à la fluidité du récit. Momo se cherche, questionne, veut "se prouver qu'on pouvait m'aimer". A la moitié du roman, la chronologie s'accélère soudain et les événements se précipitent (cela m'a un peu perturbée). Le jeune garçon se retrouve seul, Monsieur Ibrahim tente de comprendre la situation en évoquant le passé du père de Momo ("Ses parents, ils avaient été emportés par un train pour aller mourir [dans les camps de concentration]. Lui, il cherchait peut-être son train depuis toujours..."). Il prend la relève officiellement.

 

Ainsi se construit une relation attendrissante entre les deux personnages. J'ai trouvé la scène avec la voiture très drôle ("Y a pas un truc, dans votre Coran, comme d'habitude, pour nous donner une solution ?"). Avec Monsieur Ibrahim, "l'univers devenait intéressant", comme en témoigne le road trip jusqu'à "sa mer de naissance". Profiter des beaux paysages, rencontrer les gens, savourer la vie ("La lenteur, c'est ça, le secret du bonheur"): voilà la philosophie de vie que le vieil épicier transmet, tandis que l'adolescent voit "sa haine se vidanger". Peu à peu Moïse se transforme en Mohammed, car "Il y a des enfances qu'il faut quitter, des enfances dont il faut guérir"... afin d'avancer plus sereinement dans la vie et, qui sait, devenir à son tour un pourvoyeur de sagesse.

Patricia Deschamps, mars 2023

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