Quand on est petit, on ne se demande pas si on perd du temps, on s'en fiche éperdument, on vit ce qu'on veut comme on veut.
"Je m'appelle Cléo, et j'aurai bientôt 15 ans, 1 mois et 20 jours. Cette date est importante pour moi, car c'est à cet âge-là que tu es morte, ma chère Anne Frank. Tu es mon écrivaine préférée ! Alors j'ai décidé de m'adresser à toi dans ce nouveau carnet. Je vais te raconter ce qui m'interroge, me fait rire ou me bouleverse. Toutes ces choses que je n'oserais jamais dire à voix haute : le voile devant les yeux de ma mère; ma meilleure et parfois cruelle amie Bérénice; ma grande sœur, si forte et déterminée; Dimitri, mon amour d'enfance perdu de vue; la complexité du monde. Mais aussi mon reflet, si mouvant qu'il m'échappe... ou parfois se brise."
(4e de couverture)
Mon avis :
Le journal intime tout en sensibilité d'une adolescente qui se cherche en s'inspirant du courage et du talent d'Anne Frank.
Cléo est différente des autres filles de son âge. Attentive à tout ce qui se passe en elle et autour d'elle, elle exprime son ressenti de manière poétique et imagée, voire contemplative : chaque perception, chaque émotion fait l'objet d'une description toute en finesse parce qu'elle éprouve "le besoin d'aller au fond des choses, dans l'espoir de mieux comprendre". Ainsi, si son journal évoque des thèmes traditionnels comme l'amitié, la famille et l'amour, le texte prend une direction légèrement différente des habituels écrits intimes.
Tout d'abord la narratrice, qui s'adresse à Anne Frank, fait des parallèles entre leurs deux vies, même si leur situation n'ont bien sûr rien de comparable. Cependant, outre le fait que l'auteur peut donner envie aux lectrices de découvrir le Journal de la jeune Juive, elle met en exergue ce qui constitue l'adolescence de manière intemporelle : cette perception de soi fluctuante, biaisée, cette image qui se construit morceau par morceau à la fois à travers le regard des autres et au fil de l'affirmation de sa personnalité. Aux côtés de son amie Bérénice, qui semble bien superficielle, arrogante et même méchante; de sa mère, toujours fragilisée par la mort de son mari des années auparavant, et qui ressent de temps à autre un "besoin de fugue"; de sa sœur aînée Mélodie, pas aussi forte qu'elle le pensait; de Dimitri son amour d'enfance qui s'est éloigné, Cléo explore ses sentiments "jusqu'au bout", les "transformant en autre chose, souvent en textes que j'écris". Elle apprivoise son image dans les miroirs comme d'autres jouent avec leur apparence dans Snapchat, en découvrant peu à peu les différentes facettes de manière toujours plus positive.
Car Cléo est une fille toujours souriante malgré ses doutes, "toujours tellement gaie" quoiqu'il arrive. Grâce, justement, à son hypersensibilité qui, comme elle finit par le comprendre, est avant tout une force. C'est elle en effet qui lui donne la maturité de réaliser cette introspection lui faisant prendre conscience qu'à l'adolescence les repères changent, l'appréhension des choses diffèrent, bref que l'on grandit. A la différence d'Anne Frank, la vie de Cléo ne s'arrêtera pas à ses 15 ans et dès lors, c'est toute un éventail de possibilités qui s'ouvrent à elle.
Patricia Deschamps, mai 2019