La tragédie brune

BD de Thomas CARENE (scénario) et Christophe GAULTIER (dessin)

- A force de faire semblant, nous finissons tous par croire à nos propres mensonges.

Les Arènes, 2018, 130 p.
Les Arènes, 2018, 130 p.

L’histoire vraie du premier reporter français assassiné par les nazis.

 

En 1934, Xavier de Hauteclocque, grand reporter, publie "La Tragédie brune", écrit à la suite de son voyage en Allemagne en novembre 1933. Ce germanophile y décrit un pays remodelé par la politique nazie. Son regard s'attarde là où d'autres ferment les yeux, ses pas le conduisent là où peu s'aventurent et, finalement, sa plume décrit ce que beaucoup préfèrent ignorer. Son récit, à la première personne, frappe par sa lucidité et surtout, avec le recul tragique de l'histoire, par son caractère prémonitoire.

(4e de couverture)

Mon avis :

Un album saisissant dans la veine de Matin brun de Franck Pavloff.

De retour en Allemagne pour un second reportage sur le pays ("L'Allemagne est un grand pays qui prend une direction inquiétante."), le reporter Xavier de Hauteclocque est choqué par l'évolution de la situation : "En moins de six mois, tout a changé." La répression est partout et la plupart de ceux qui lui parlaient librement il n'y a pas si longtemps n'osent plus "raconter autre chose que la gloire de la nouvelle Allemagne" car sinon "c'est la promesse d'ennuis...". D'ailleurs, "ceux qui m'avaient parlé ont été sanctionnés par la dictature gammée"...

 

Ce qui le choque en premier lieu, dans la rue, c'est de découvrir "un peuple uni dans la haine". Partout, on "exalte l'esprit de revanche" et les discours d'Hitler, qui autrefois "cherchait à convaincre", ne sont plus que "orgueil, haine, besoin de dominer" : "Maintenant, il ordonne." On encourage à voter pour le plébiscite* : "Gare à ceux qui ne voteront pas oui. Ils risquent gros. On les a avertis". Il s'agit évidemment d'une "parodie de vote" dans laquelle "on vote pour son bourreau"... Le journaliste est également surpris de voir si peu de monde dans les rues : "Les femmes de mauvaise vie sont envoyées dans les champs, les mendiants dans des camps de travail "volontaire" ou des camps de concentration... Solution humaine ? J'en doute".

 

couverture de l'essai (1934)
couverture de l'essai (1934)

Car les camps existent déjà : on y parque les prisonniers politiques, ceux considérés comme ennemis du parti nazi. Le dessin marque bien le contraste entre la beauté des paysages ("Que la campagne est belle") et l'ignominie de ce qui se déroule, déjà, dans les camps "pour opposants". L'illustrateur utilise des couleurs uniformes, sans aucune nuances (avec beaucoup de brun forcément, vu le titre et le sujet) rehaussées d'un trait noir épais, ce qui donne une drôle d'allure aux personnages (pauvre Hauteclocque affublé d'un nez de Cyrano!) mais évoque bien l'atmosphère du pays à l'époque (elle aussi sans nuances).

 

Et cela continue comme ça, entre les arrestations pour motif fallacieux (par exemple les tracts communistes glissés sous la porte), la détention illégale ("Et personne ne dit rien? - Bien sûr que non. Personne n'a envie d'aller y faire un tour."), l'enrôlement forcé dans les jeunesses hitlériennes, etc. Et toujours l'absence de libre parole de tous ces gens vivant dans la peur...

Xavier de Hauteclocque, lui, osera publier ce qu'il a vu (les curieux trouveront la première partie du texte original à la fin de la bande dessinée). Il en mourra le 3 avril 1935, "empoisonné par les nazis après un ultime reportage en Allemagne"...

 

Patricia Deschamps, février 2019

 

*Le plébiscite du 19 août 1934 : il s'agit pour Hitler de faire ratifier la loi du 1er août 1934 qui acte la fusion de la fonction de chancelier du Reich — qu'il exerce lui-même depuis janvier 1933 — avec celle de président du Reich, à compter de la mort de celui-ci. Or, le président Hindenburg meurt le 2 août, le lendemain de la promulgation de ladite loi, qui devient immédiatement applicable. Le 19 août, le plébiscite recueille 84,2 % des suffrages : Hitler a la confirmation qu'il peut officiellement se faire appeler «Führer und Reichskanzler» et qu'il peut légitimement cumuler les pouvoirs associés aux deux fonctions de chancelier et de président du Reich. Avant le 2 août et cette confirmation populaire du 19 août, Hitler n'était « officieusement » que le Führer du parti nazi. (source Wikipedia)

Mai 2019
Mai 2019

L'avis de Michaël, 17 ans :

sur le métier de journaliste
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