Zadig ou La Destinée

VOLTAIRE (1694-1778)

Peinture du XVIIIe siècle (Musée national du château de Versailles)
Peinture du XVIIIe siècle (Musée national du château de Versailles)

Né à Paris en 1694 dans un milieu bourgeois aisé et cultivé, François-Marie Arouet, le futur Voltaire, reçoit une éducation humaniste par l'ordre religieux des jésuites, puis entreprend, à l'âge de dix-sept ans, des études de droit voulues par son père. Cependant le goût naturel du jeune Arouet pour la poésie l'incite plutôt à vivre de sa plume. Il rédige ses premiers écrits mais ses prises de position radicales contre le régent Philippe d'Orléans (qui gouverne la France depuis la mort de Louis XIV en 1715) le contraignent à l'exil puis à un séjour de onze mois à la Bastille, la prison d'Etat. Dès sa libération, le jeune auteur fait représenter sa première tragédie (Oedipe), qui connaît un beau succès. C'est aussi à cette époque (en 1719) qu'il prend le pseudonyme de Voltaire.

 

Enhardi par ses premiers succès, le jeune Voltaire se consacre entièrement à la littérature : il écrit des pièces de théâtre et gagne la faveur du roi Louis XV qui règne sur la France depuis 1723. Reçu à la cour royale, à Versailles, Voltaire est en passe de devenir le poète officiel qu'il a toujours rêvé d'être. Mais un incident avec le chevalier de Rohan, un personnage important du Royaume, ruine brutalement sa carrière de poète mondain. Louis XV envoie le jeune auteur à la Bastille mais ne tarde pas à commuer sa peine en exil. Amer, Voltaire quitte la France pour l'Angleterre où il découvre avec enthousiasme un régime de liberté. De retour en France deux ans plus tard, il redouble d'activité : il écrit de nouvelles œuvres, et fait surtout deux rencontres déterminantes : Madame du Châtelet et Frédéric de Prusse (qui deviendra roi en 1740).

 

En 1744, après une "traversée du désert" de près de vingt ans, l'auteur est rappelé contre toute attente à la cour de Louis XV pour y occuper à nouveau une fonction officielle. Protégé par Madame de Pompadour, la favorite du roi, reçoit des titres honorifiques et il est élu à l'Académie française. Or, un nouvel incident éclate à la Cour, qui précipite sa disgrâce. Il trouve refuge chez la duchesse du Maine : c'est là qu'il écrit Zadig (1747). Voltaire connaîtra encore maints déboires : désavoué par Louis XV qui n'apprécie guère son insolence naturelle, il part à Berlin à la cour de Frédéric II de Prusse. Mais après quelques années d'entente cordiale, l'auteur, qui comptait jouer le rôle de mentor auprès de Frédéric, se heurte à l'indifférence du roi pour les conseils de philosophe. Après cette nouvelle déception, Voltaire se retire à Ferney, dans un domaine situé non loin de la frontière suisse.

 

Jean Huber, "le Dîner des philosophes" (1772-1773)
Jean Huber, "le Dîner des philosophes" (1772-1773)

Dans son luxueux château, Voltaire reçoit des visiteurs venus de l'Europe entière, continue à écrire contes philosophiques (notamment Candide, en 1759), traités et pamphlets, et se fait également le défenseur de la justice et de la tolérance. Ainsi, en 1765, après trois ans de lutte acharnée, il obtient la réhabilitation de Jean Calas, un marchant protestant injustement accusé d'avoir tué son fils converti à la religion catholique.

En 1778, âgé de 84 ans, Voltaire peut mesurer l'ampleur du travail accompli. Il rentre à Paris où il reçoit un accueil triomphal. Il meurt le 30 mai et quelques années plus tard, ses cendres seront transférées au Panthéon.

 

Source : Zadig, éd. Flammarion (Étonnants classiques)

Avec Zadig, Voltaire inaugure un nouveau genre littéraire, amené à connaître une très grande vogue au XVIIIe siècle : le conte philosophique. Pour ce philosophe des Lumières, c'est un excellent moyen de dispenser ses idées ailleurs que dans des ouvrages théoriques : il propose au lecteur une réflexion sur la nature humaine sans jamais cesser de divertir.

Belin/Gallimard, 2010, 160 p. (ClassicoLycée)
Belin/Gallimard, 2010, 160 p. (ClassicoLycée)

L'histoire se déroule à Babylone.

Zadig, jeune homme doté de toutes les qualités, s'apprête à épouser Sémire. Mais l'odieux Orcan, jaloux, enlève la jeune femme. En la sauvant, Zadig est gravement blessé à l'oeil et pour le grand médecin Hermès, rien ne pourra le sauver. Pourtant Zadig guérit ! Mais trop tard : Sémire a finalement décidé d'épouser... Orcan !

 

Dépité, Zadig se marie avec Azora. Cependant il ne tarde pas à la répudier, déçu par son comportement... Malheureux en amour, le jeune homme cherche alors son bonheur dans la nature. Mais une fois de plus, les épreuves et les déconvenues s'accumulent...

 

Zadig réussira-t-il à trouver la sérénité qu'il espère tant ?

Mon avis :

Si mon fiston n'avait pas eu à l'étudier, je n'aurais pas relu ce classique... et cela aurait été dommage ! J'y ai trouvé beaucoup d'humour, ce dont je n'avais pas gardé le souvenir.

Présenté comme le héros idéal, Zadig n'en est pas moins un peu naïf, voire niais, au début de l'histoire. Entiché d'une jeune fille qui a malheureusement "une aversion insurmontable pour les borgnes", il se précipite aussitôt jeté, dans les bras d'une autre toute aussi superficielle dont il se débarrassera allègrement en moins de deux mois. Zadig, qui tombe amoureux par la suite d'Astarté l'épouse du roi de Babylone (mauvais choix...), n'est décidément pas fait pour l'amour. Les femmes sont d'ailleurs souvent présentées comme capricieuses et inconstantes... Car si l'action se déroule en d'autres lieux, en une autre époque, on sent, comme dans les Lettres persanes de Montesquieu, que Voltaire s'ingénie à dépeindre des caractères bien parisiens de son entourage !

Gravure (1747) illustrant la scène de retrouvailles entre Zadig et Astartée (Bibliothèque nationale de France, Paris)
Gravure (1747) illustrant la scène de retrouvailles entre Zadig et Astartée (Bibliothèque nationale de France, Paris)

Zadig cherche le bonheur, et pour le trouver, traverse des situations plus abracadabrantes les unes que les autres, en partie dues aux rencontres calamiteuses qu'il peut faire. Hermès le médecin n'est qu'un charlatan : "Si c'eût été l’œil droit, je l'aurais guéri ; mais les plaies de l’œil gauche sont incurables" !.. Arimaze l'envieux passe son temps à lui mettre des bâtons dans les roues. Quant à la justice, elle est corrompue, expéditive et arbitraire: "On lui avait fait son procès en son absence"!.. A travers ces personnages caricaturaux, dont l'orgueil est inversement proportionnel à leurs compétences, c'est toute la verve satirique de Voltaire qui s'exprime. D'ailleurs, la vie du jeune héros évoque souvent celle de son auteur, tour à tour glorifié pour ses talents puis tombant en disgrâce sous le regard avide d'une "foule de curieux" qui rappelle étrangement les courtisans de Louis XV! 

 

Condamné à tort, Zadig échappe plus d'une fois à la mort, souvent sauvé par hasard, passant son temps à fuir, et même victime d'esclavage. Les péripéties s'enchaînent, dans un récit rythmé plein d'imprévus et de rebondissements, comme dans un "conte oriental" effectivement. Comme dans un roman d'initiation également puisque le jeune homme fait l'apprentissage de la vie, de ses grandes déconvenues et de ses petits bonheurs, de ses injustices une fois encore, dans un monde scandaleux où il est "dangereux quelque fois d'être trop savant", où les qualités personnelles suscitent la jalousie, où l'homme est ballotté par son destin.

 

Malgré tout, ces mésaventures feront de Zadig un homme éclairé. Habile orateur, diplomate, il a la parole fédératrice et ses talents de persuasion désamorcent bien des litiges, abolissent bien des pratiques barbares. Tel un philosophe, il dispense sa sagesse par un dialogue raisonné. Altruiste, il n'hésite pas à mettre de côté son propre malheur pour sauver son prochain. En ce sens, sa rencontre avec l'ermite sera décisive. Prônant la démonstration par le paradoxe, celui-ci lui dispensera une morale essentielle : "Il n'y a point de mal dont il naisse un bien".

 

La dernière partie, dans un esprit médiéval qui tranche avec l'orientalisme de l'histoire, est quelque peu surprenante : Zadig y relève des épreuves chevaleresques (burlesques ?) dans le but de conquérir sa légitimité sur le trône et surtout auprès de sa "Dame". De même, on ne sait pas trop que penser du dénouement, un peu convenu, pseudo heureux... Car il semble un peu artificiel ce bonheur si longtemps convoité ! Comme si Voltaire n'y croyait pas lui-même.

En tout cas l'auteur aura réussi son pari : plus de deux siècles après son écriture, son oeuvre continue, à travers un récit mouvementé et cocasse, à encourager la prise de recul vis-à-vis de notre société et de ses travers toujours d'actualité, par le biais d'une aventure rocambolesque faisant passer un moment de lecture savoureux!

 

Patricia Deschamps, novembre 2016

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