Mais qu'est-ce qu'on peut faire avec toutes ces bombes qui nous tombent dessus, ces maisons qui explosent, les écoles, les hôpitaux, et ces gens qui sont tués par centaines. Des enfants de ton âge, des bébés. On en a retiré des dizaines de sous les ruines et la plupart étaient déjà morts. A quoi ça sert, tout ça ?
1940. Suite au bombardement de leur maison, Barney, dix ans, et sa mère prennent le train à Londres pour se réfugier à la campagne. Des raids allemands obligent soudain le train à s'arrêter dans un tunnel. Pour passer le temps, un homme qui s'est installé dans leur compartiment leur raconte l'histoire de son meilleur ami, Billy Byron.
Élevé comme lui à l'orphelinat, Billy Byron s'engagea tôt dans l'armée et ne tarda pas à se faire remarquer par ses actes de bravoure. Vers la fin de la Première Guerre mondiale, dans le petit village français de Marcoing, alors que sa garnison cernait un groupe de soldats allemands blessés, ils décidèrent de leur laisser la vie sauve.
Vingt ans plus tard, Billy Byron découvre l'identité de l'un d'entre eux...
Mon avis :
"L'histoire vraie du soldat qui aurait pu empêcher la Seconde Guerre mondiale"...
A l'origine de ce roman, un homme qui a véritablement existé : Henri Tandey, le "simple soldat" qui "reçut les trois plus hautes décorations pour sa bravoure" lors de la Grande Guerre. Cependant, son acte le plus héroïque, celui qui lui valut la croix de Victoria, il le regrettera toute sa vie... Si l'on se doute dès le départ de l'identité du soldat allemand, ce "petit bonhomme" que Billy Byron se refuse à abattre parce que "la guerre était terminée, qu'il était inutile de tuer encore quelqu'un", on se laisse captiver par le récit de l'inconnu du train à peine interrompu par le craquement des allumettes (le train est arrêté dans un tunnel). Autant j'avais eu du mal à accrocher au Mystère de Lucy Lost (qui revient sur le torpillage du Lusitania), autant j'ai retrouvé ici le formidable conteur du Royaume de Kensuké, sans oublier les magnifiques illustrations de Michael Foreman qui contribuent grandement à l'ambiance du roman.
Car au-delà de l'énigme fascinante de ce jeu du destin, l'auteur évoque en filigrane des thématiques touchantes, à commencer par celle des enfants pendant la guerre. La scène du bombardement de Londres, à l'issue de laquelle le petit Barney découvre sa rue entièrement détruite, est émouvante. Champ de ruines, perte de repères, le grand-père en larmes et tous les biens (maison, jouets, cheval...) disparus à jamais, on imagine la détresse de ce petit garçon déjà bouleversé par l'absence de son père envoyé en Afrique. L'attaque aérienne du train est également très réaliste : on est là, à ses côtés dans le wagon étouffant et plongé dans le noir, à se raccrocher à la voix de l'homme. A l'écouter parler de cette petite fille, Christine, que Billy a absolument tenu à sauver, bouleversé par "tous les enfants comme elle, seuls et rendus orphelins par cette guerre". Cette guerre qui fait se sentir impuissant ("Vous savez ce qu'on fait, la plupart du temps, pendant une guerre ? On reste assis à attendre qu'il arrive quelque chose en espérant que ça n'arrivera pas"), qu'on a hâte de voir terminée pour "en finir avec la douleur, avec la souffrance". La guerre qui continue de hanter des années après ("il avait toujours la guerre dans la tête"), au point que "les gens n'aimaient pas l'évoquer de peur de la faire revivre"... On comprend dès lors l'obsession de Billy pour le regard de ce soldat allemand et sur les conséquences "s'il avait pressé la détente ce jour-là". Et sur le terrible sentiment que "on avait gagné, mais on n'avait pas l'impression d'avoir gagné, on ne l'a jamais dans ce genre de situation"...
Un roman fluide mais intense émotionnellement, réflexion sur le cours de l'Histoire et le cœur des hommes ("il n'aurait pas pu le tuer davantage cette fois-ci qu'à l'époque")...
Patricia Deschamps, avril 2017