Prends ta pelle et ton seau et va jouer dans les sables mouvants

roman d'Hervé GIRAUD

Ed. Thierry Magnier, 2015, 116 p.
Ed. Thierry Magnier, 2015, 116 p.

Je m'appelle Tchekhov, Anton de mon prénom. Il paraît qu'il existait un autre Anton Tchekhov qui était russe et qui écrivait des livres. Je n'écris rien, je ne lis pas les livres de ce mec parce que je ne suis pas russe, je n'ai qu'un seul livre qui s'appelle Le livre de la jungle et qui appartenait à ma mère, et je me tape de tout ça.


Je vis avec mon beau-père-tiers-de-confiance, le petit copain de ma mère qui est morte. Pas de pleurnicherie, je m'en cogne, ma mère, je ne l'aimais pas non plus. Enfin, je crois. Mon père, c'est le soldat de plomb pilote de chasse inconnu, il s'est tiré, s'est envolé avec le vent, voilà, je n'en sais pas plus.


Je vis sur une barge flottante amarrée dans un bras mort de la rivière, une poubelle flottante aux allures de poulailler, toute en planches goudronnées avec de la tôle ondulée sur le dessus.


Il n'est pas question que je finisse comme les autres, agglutinés dans les cages d'escalier des immeubles. Je suis un rebelle de la plus haute noblesse, je ne connais presque rien de ceux qui m'ont mis au monde, alors tout m'est permis. Je vais livrer ce carton à Wilbur comme prévu, et ensuite peaufiner avec Kléber le projet de braquage de la station-service qui va changer ma vie.

Mon avis :

Un roman dur et acéré comme la crête iroquoise qu'arbore le héros !

Au départ, l'histoire d'Anton ressemble à celle de tous ces petits délinquants fanfarons qui jouent aux gros durs le flingue à la ceinture. Rien de bien captivant, une pointe d'agacement presque. Et puis comme la pitoyable coupe "mohawk", le tout s'écroule lentement, se fissure, pour laisser apparaître un pauvre gosse privé d'enfance à qui on n'a jamais fêté l'anniversaire, ni raconté d'histoire pour s'endormir, encore moins offert de jouets ou de vacances. Un gamin touchant qui se raccroche au seul objet qui lui reste de sa mère, Le Livre de la jungle - ça l'aide à s'évader de son quotidien sordide : "Je voudrais retourner dans mon rêve con", avoue Anton pour qui "le sommeil est un cri qui s'évanouit à l'intérieur". Il est vrai que son environnement ressemble à une jungle, avec le terrible Wilbur dans le rôle de Shere Kan le tigre féroce, et lui-même dans celui de Mowgli l'orphelin qui cherche sa place.

Tout s'effrite donc, le carton n'est pas le bon, le braquage finit au poste de police, et il ne reste plus à Anton qu'à souhaiter "que le ciel pleure pour moi qui suis incapable de pleurer". Commence alors une implacable critique de l'administration qui, du psy à l'assistante sociale en passant par les flics et le juge aux affaires familiales, n'est pas fichue de faire quoi que ce soit d'efficace pour l'insertion de l'adolescent. De toute façon, c'est bien connu : "Les pauvres gosses ne font que des pauvres gosses qui feront à leur tour des pauvres gosses"...

Heureusement, s'il est "fragile en apparence", Anton se révèle "solide par l'envie". Encouragé par Dune, une jeune fille qui le regarde "comme personne ne m'a jamais regardé", puis par Franco, un ancien boxeur qui le prend sous son aile, l'adolescent se trouve une force intérieure qui va l'aider à appréhender avec plus de sérénité sa relation au monde et aux autres. Libéré, il trouve alors le courage d'aller de l'avant : "Je ne sais pas où je vais, mais j'y vais". Mowgli a finalement choisi de rejoindre le monde des hommes... même si le chemin est rude.

Patricia Deschamps, août 2015

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