Lettres à Louise Colet

correspondance de Gustave FLAUBERT

On peut être maître de ce que l'on fait, mais jamais de ce que l'on sent. (p.37)

Magnard, 2003, 184 p. (Classiques & Contemporains)
Magnard, 2003, 184 p. (Classiques & Contemporains)

Si Louise Colet ne fut pas toujours aussi bien aimée qu'elle l'eût voulu, elle reçut la plus belle et la plus passionnante des correspondances. Grâce à ces lettres savoureuses, on entre dans l'intimité d'un écrivain éclatant en colères pittoresques contre les sottises et les bassesses de l'humanité ; on découvre, derrière un personnage plein de verve, un artiste ayant la plus haute idée de son travail, un " mystique " de l'écriture, et on pénètre avec lui dans les coulisses de l'élaboration du plus célèbre roman du XIXe siècle : Madame Bovary.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Voici les lettres que Gustave Flaubert envoya à Louise Colet, "poétesse belle et renommée" avec qui il eut une liaison de deux ans puis une relation de plus en plus exclusivement épistolaire. Quand ils se rencontrent en 1846, "Flaubert n'est qu'un jeune romancier génial en puissance" tandis que Louise (de onze ans son aînée) est déjà célèbre et reçoit de nombreux auteurs dans son salon (Musset, Vigny, les fils Hugo, etc.). Quand ils renouent en 1851 au retour de voyage de Flaubert, la "passion enfiévrée" s'est tarie, d'autant que l'écrivain est obnubilé par Madame Bovary qu'il vient de commencer.

 

Dans ses lettres, il parle donc essentiellement d'écriture, exprimant son obsession du mot juste, de la précision des phrases qu'il scande pour en éprouver l'harmonie et la poésie ("Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore."). Il exprime également sa difficulté à construire une scène parfaite, avec son décor, ses personnages et leur dialogue, le tout dans un style fluide et condensé ("Il faut que cela soit rapide sans être sec."). On ressent alors toute son exigence.

 

Exigence qu'il attend d'ailleurs des autres. Il critique beaucoup les auteurs contemporains, qu'il trouve "trop mièvres" ou pas assez rigoureux. Louise est la première à en faire les frais, elle qui, comme d'autres leurs articles, lui donne à relire ses poèmes ("Médite plus avant d'écrire et attache-toi au mot."). Flaubert peut être très méprisant ("Comme les paysans m'embêtent! Au bout de trois minutes la société de ces sauvages m'assomme.") voire misanthrope ("Il faut que le genre humain soit devenu complètement imbécile pour perdre jusqu'à ce point toute notion d'élégance.").

 

Il est dommage qu'on n'ait pas les lettres de Louise, apparemment brûlées par la nièce de Flaubert. Cependant on comprend qu'elle y exprime davantage de sentiments et qu'elle aimerait que son amant en fasse de même. Il le fait, mais à sa manière, sans jamais lui dire exactement ce qu'elle aimerait lire ("Eh bien non, ce n'est pas de l'amour. J'éprouve pour toi un mélange d'amitié, d'attrait, d'estime, d'attendrissement de cœur et d'entraînement de sens qui fait un tout complexe, dont je ne sais pas le nom.").

 

Flaubert est dur avec les femmes en général ("Un homme aimera sa lingère, et il saura qu'elle est bête qu'il n'en jouira pas moins. Mais si une femme aime un goujat, c'est un génie méconnu, une âme d'élite, etc."). Il peut aussi être très cru (et drôle): "Dans quinze jours, chère Louise, j'espère être à tes côtés (et sur tes côtes)." Et en même temps, il est capable des plus jolies déclarations: "Je n'ai pas admiré ce que tu montrais, ce que tout le monde pouvait voir. J'ai été au-delà et j'y ai découvert des trésors."

 

Au bout du compte, on voit la personnalité de l'homme émerger derrière l'écrivain. On découvre quelqu'un d'authentique qui s'exprime non pas pour séduire mais en toute sincérité. J'ai d'ailleurs appris une petite anecdote au passage: une partie des textes de Victor Hugo (en exil à Jersey) arrivaient clandestinement en France par l'intermédiaire de Flaubert.

Par contre, l'ultime lettre à Louise m'a choquée par sa froideur... C'est une terrible conclusion à une relation qui aura pourtant été fort riche, sentimentalement et intellectuellement.

Patricia Deschamps, février 2025



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