Madame Bovary

de Gustave FLAUBERT (Rouen, 1821-1880)

Biographie complète sur la page consacrée au roman Un cœur simple.

Pourfendeur de la médiocrité et de la bêtise, le romancier Gustave Flaubert reste une figure à part de la littérature française du XIXe siècle. Son héroïne Madame Bovary a donné son nom au comportement qui consiste à fuir dans le rêve l'insatisfaction éprouvée dans la vie: le bovarysme. 

L'écriture, pour Gustave Flaubert, est le fruit d'une enquête minutieuse et d'un labeur acharné. Maître malgré lui du mouvement réaliste et inspirateur des naturalistes, il suscitera l'admiration de Proust, l'intérêt de Sartre et influencera jusqu'au nouveau roman.

 

À son retour d'Orient en 1851, Flaubert a l'idée d'écrire Madame Bovary, qui lui prendra cinq ans. En 1856, c'est le scandale : Madame Bovary, publié en feuilleton, déclenche les foudres de la censure : Flaubert doit comparaître en justice pour immoralité. Il est acquitté et le roman connaît un franc succès

Source : encyclopédie Larousse

Emma regarda tout autour d'elle, lentement, comme quelqu'un qui se réveille d'un songe; puis d'une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu'au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. (III,8)

Hachette, 2014, 224 p. (Bibliolycée) : une édition parmi tant d'autres !
Hachette, 2014, 224 p. (Bibliolycée) : une édition parmi tant d'autres !

Charles Bovary est un homme ennuyeux, médiocre et sans ambition. Après des études de médecine laborieuses, il s'installe dans le petit village de Tostes en Normandie, afin de prendre la succession d'un vieux médecin parti en retraite. Il épouse Héloïse Dubuc, une veuve sans charme choisie par sa mère pour sa fortune.

 

Un jour qu'il se rend à la ferme des Bertaux pour soigner la jambe cassée du père Rouault, Charles fait la connaissance de la belle Emma, la fille de son patient. Pour le médecin, c'est le coup de foudre : Emma, élevée au couvent des Ursulines, est cultivée et raffinée.

 

Alors quand Héloïse vient à mourir, Charles demande au père Rouault la main de sa fille...

Mon avis :

Relire Madame Bovary 25 ans plus tard et retrouver le même plaisir de lecture !

 

Il est très rare que je me replonge une deuxième fois dans un livre, mais j'avais eu un tel coup de cœur pour ce roman à l'adolescence que j'ai eu envie de faire une exception ! J'ai découvert l'impatience mêlée de fatalité à retrouver les épisodes marquants de l'intrigue (les lectures romanesques d'Emma au couvent, sources de ses illusions ; le bal de la Vaubyessard et son pendant "paysan", les Comices agricoles ; l'opération désastreuse du pied-bot d'Hippolyte ; les deux amants Léon et Rodolphe...). J'ai redécouvert des détails oubliés, comme le premier mariage de Charles. Mais surtout, avec le recul de l'âge, j'ai porté un regard différent, plus pointu peut-être, sur les principaux protagonistes.

Le roman démarre autour de Charles, avec cette première scène excellente (l'arrivée au collège) qui le place d'emblée sous le signe du ridicule et de la passivité. Mal dégrossi, servile, d'abord sous l'emprise de sa mère, puis de sa première femme, Charles restera toute sa vie sans curiosité ni opinion sur rien, faisant ainsi le désespoir d'Emma (comme on la comprend !) : "La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue". Elle qui rêvait d'un mariage d'amour en recevra beaucoup de sa part... mais sans jamais en éprouver pour cet homme insipide.

 

Voir le résumé en "langage djeuns", très drôle, du comédien Jean Rochefort, dans "Les boloss des belles lettres"
Voir le résumé en "langage djeuns", très drôle, du comédien Jean Rochefort, dans "Les boloss des belles lettres"

Ce n'est qu'au chapitre V que le point de vue exprimé bascule sur celui de la jeune femme, coïncidant avec la découverte de sa nouvelle demeure. On (re)découvre une héroïne rêveuse, bercée d'illusions sur la vie et l'amour, de plus en plus frustrée de rien y voir de semblable dans la sienne... Au bal de la Vaubyessard, elle touche du doigt cette existence fantasmée, s'émerveillant du faste et de la belle compagnie, allant jusqu'à admirer un vieillard qui bave et bégaie (le duc de Laverdière) du seul fait qu'il "avait vécu à la Cour et couché dans le lit des reines"!.. En véritable peintre du quotidien, Flaubert a l'art du portrait et de la scène, faisant naître sous nos yeux tel lieu ou tel individu. Et avec le déménagement à Yonville, c'est un joli florilège de personnalités qui attend le lecteur ! Il y a Léon, bien sûr, le romantique timide pour qui Emma ressent "un murmure de l'âme". A l'opposé, Rodolphe se révèle un authentique séducteur prédateur, un homme à femmes beau-parleur qui dès le départ se promet : "Oh je l'aurai ! Mais comment s'en débarrasser ensuite ?". Tout aussi horripilant, Homais le pharmacien pédant et fourbe, agace par ses manières (il vole sa clientèle à Charles en pratiquant des consultations illégales dans son arrière-boutique), et ses opinions (il se laisse tout le temps emporter dans de longs discours visant à démontrer sa supériorité). N'est-ce pas lui à l'origine de l'opération du pied-bot qui fera passer Hippolyte du statut d'handicapé à celui d'amputé ?! Tout ça pour usurper un peu de notoriété... Et puis n'oublions pas l'impitoyable Lheureux, "marchand de nouveautés" et prêteur sur gages sournois, prêt à tout pour saigner ses clients jusqu'au dernier sou... Il contribuera grandement à la perte des Bovary!

 

 

voir la bande annonce du film de Chabrol
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Une déchéance annoncée qui s'étire lentement mais inexorablement au fil des chapitres, plongeant Emma toujours plus profondément dans le désespoir malgré quelques sursauts de répit ici ou là. Ennui, regrets, solitude, dépression... la vie de madame Bovary n'est qu'une lente dégénérescence : "Ils parlèrent de la médiocrité provinciale, des existences qu'elle étouffait, des illusions qui s'y perdaient". Mais peut-on, en toute honnêteté, accuser la seule vie provinciale d'être responsable de la médiocrité de son existence ?

Car c'est bien ma perception du personnage central qui aura le plus évolué à cette seconde lecture : certes la malheureuse Emma est bien touchante... Qui n'a jamais connu de déceptions dans sa vie ? Mais n'est-ce pas avant tout sur elle-même que la jeune femme s'illusionne ? Ne reste-t-elle pas aveuglément naïve malgré l'expérience ? Éternelle insatisfaite qui "retrouve dans l'adultère toutes les platitudes du mariage"... Ne se montre-t-elle pas trop égocentrique pour se remettre en question ? Mère négligente et épouse irresponsable, menant une vie de luxe dont elle n'a pas les moyens ? Préférant se lamenter plutôt que de réagir (même si les femmes ont peu de liberté à cette époque)... Oui je dois l'admettre : elle m'a un peu agacée, cette madame Bovary ! J'ai ressenti une sorte de tiraillement entre compassion (identification ?) pour cette femme vivant dans son petit monde romanesque, déconnectée de la réalité, et une envie de la secouer afin qu'elle se reprenne en mains ! D'ailleurs j'ai adoré le passage où, après l'amputation d'Hippolyte, anéantie de honte envers son mari, elle lui crie "Assez !" d'un "air terrible" et s'enfuit en claquant la porte : voilà une réaction forte de la part d'une héroïne !

Pour autant sa mort m'a une nouvelle fois émue... Cette agonie terrible doublée du chagrin insoutenable de Charles... Après tout, il l'aura aimée d'un amour authentique, lui. Dommage qu'il ait attendu la perte de la femme de sa vie pour, paradoxe cruel, enfin devenir celui qu'elle aurait voulu.

Voilà en tout cas l'immense talent de maître Flaubert, et toute la pertinence d'une oeuvre que l'on dit, à juste titre, majeure, incontournable, "classique" : continuer à vous toucher, à vous faire réagir, à travers les époques comme à travers votre propre existence.

Patricia Deschamps, janvier 2016

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