Les sauvages

BD de Julien FREY (texte) et NADAR (dessin)

Réaliser le rêve de Joanne, c'est aussi lui montrer que tout est possible. Lui transmettre un peu plus que mes angoisses.

Futuropolis, 2023, 143 p.
Futuropolis, 2023, 143 p.

 

Février 2020. Julien et sa fille Joanne sont invités en Indonésie par le Professeur Michaux, un éminent biologiste de l'Université de Liège.

Des éléphants de Sumatra aux dragons de Komodo, la nouvelle mission du chercheur est l'occasion de découvrir l'extraordinaire biodiversité de l'archipel. Mais celle-ci est menacée. Déforestation, production d'huile de palme, braconnage... Les dangers sont nombreux et prennent une dimension particulière lorsque la pandémie de Covid 19 éclate au milieu du voyage.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Feuilleter le début de l'album
Feuilleter le début de l'album

Partir à l'autre bout du monde pour voir des animaux sauvages, c'est le rêve un peu fou que Julien Frey propose à sa fille de dix ans, avant qu'elle ait trop grandi et peut-être perdu enthousiasme et curiosité avec l'adolescence. A peine l'album entamé que je reviens à la page de garde vérifier que... c'est bel et bien une histoire vraie ("T'as de la chance.")!

 

Nous voilà donc en Indonésie sous le crayon de Nadar qui donne vie aux éléphants et aux gibbons dans de belles couleurs brunes et vertes. J'ai aussi adoré les sorties en mer à la rencontre des raies manta et des requins! Cette bande dessinée dépaysante m'a emportée aux côtés des explorateurs en herbe.

 

J'ai trouvé touchant ce père qui sent sa fille grandir et s'éloigner. Julien semble proche de Joanne et tient à partager des moments de complicité avec elle ("Lui faire vivre des choses. Lui donner envie d'avancer. La rendre autonome").

 

Mais le thème principal de cette bande dessinée, c'est la déforestation et le braconnage à l'origine de la disparition de nombreux animaux sauvages. Johan Michaux, le guide du groupe, est un biologiste chercheur spécialisé dans les espèces en danger. S'il se rend en Indonésie avec la jeune Chloé préparant son doctorat, c'est parce qu'on y trouve 17% de la faune mondiale. Cependant la plupart des animaux sont menacés par le commerce de l'huile de palme ("On rase tout leur habitat pour en produire") et celui de la médecine traditionnelle chinoise (la corne de rhinocéros est utilisée comme aphrodisiaque, la bile d'ours comme remède, etc.). Il faut savoir que l'huile de palme n'est pas utilisée que dans l'alimentation: "En France, 76% est utilisée dans les biocarburants comme l'E10"(Pourquoi ai-je toujours le sentiment qu'en matière d'écologie, ce que l'on gagne d'un côté, on le perd de l'autre?)... Les enjeux économiques sont bien sûr énormes et la corruption politique importante: "La France vend des armes et des avions à l'Indonésie et à la Malaisie. Ces pays cesseraient d'en acheter si le marché de l'huile de palme était menacé" ("Le système capitaliste actuel, recherchant uniquement le profit, ne fait pas une priorité de la préservation du vivant")...

 

Je crois tout de même que ce qui m'a le plus choquée, c'est la relation entre déforestation et coronavirus: "La déforestation réduit l'habitat des espèces et favorise les contacts avec les humains". On sait que le SARS-CoV-2 est probablement issu d'une espèce de chauve-souris. Or "Si la chauve-souris sauvage habite à côté de chez toi, tu as plus de chances d'être touché que si elle est perdue au fond de la forêt"... Raison de plus pour laisser les animaux sauvages tranquilles! Johan Michaux insiste là-dessus dans sa postface: "L'agressivité de notre espèce vis-à-vis des autres organismes vivants se retourne contre nous". Autrement dit, l'Homme est en train de provoquer sa propre perte...

 

De retour en France à cause du confinement (nous sommes en février 2020), père et fille vont dès lors regarder la nature différemment, observant plus attentivement les animaux autour de chez eux. "Et si le monde animal nous avait fait un signe" avec le covid? Il est en effet nécessaire que l'on prenne tous conscience de la situation et que l'on mette en place "des actions concrètes accrues" à tous niveaux, y compris individuel. Le plus bel exemple dans cet album est celui de Monsieur Syamsudin qui, tel L'homme qui plantait des arbres de Jean Giono, fait pousser des palétuviers dans la mangrove depuis 30 ans. La majorité des politiques manque de courage face aux grands lobbies. Or, le temps presse... Et on ne peut plus se contenter d'espérer.

Patricia Deschamps, mai 2023


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