Les insoumis du blizzard

roman de Fanny ABADIE

Du plus loin qu'elle se souvienne, les repas étaient comme les jours, identiques et fades.

Sarbacane, 2018, 204 p. (Exprim')
Sarbacane, 2018, 204 p. (Exprim')

2330, une ville à l’abandon. Cinq adolescents vivent dans la même communauté : Josh, les sœurs Nejda et Liv, Afick et Babak. Ils n’ont jamais connu que la neige, le blizzard et la glace : le froid intense a envahi l’Europe depuis des années, décimant une grande partie de l’humanité. Coupés du monde, ils endurent des journées rythmées par l’emploi du temps que leur imposent les adultes : Ilvina, Tamund le médecin-cuistot, Hélène et le chef Kelsang.

 

Ceux-ci vivent mal le déclin de la communauté. Kelsang, surtout, est obsédé par l’idée d’assurer une descendance à leur groupe. Mais cela fait longtemps que la procréation est devenue artificielle ; et dans cet environnement hostile, il ne dispose pas des moyens technologiques pour créer des embryons… 

(Texte : service de presse)

Mon avis :

Dans un monde dévasté par de grands bouleversements climatiques, comment perpétuer l'espèce humaine ?

J'ai beaucoup aimé l'ambiance de ce roman. Dans le monde en ruine, tout n'est que tempêtes de neige, froid glacial et désolation. La petite Communauté Libre et Résistante de Lille, qui a refusé de participer à l'exode climatique, vit en huis clos dans la Vieille Bourse autour de règles rigides censées garantir la survie de ses membres. Seul Josh le "dénicheur" sort chaque jour explorer les décombres pour collecter des objets utiles au groupe.

 

Pendant ces quelques jours de mars 2330 que nous passons avec les onze survivants de la communauté, l'atmosphère est tendue : les adolescents souffrent de plus en plus du confinement et surtout de la soumission que l'on exige d'eux. Chaque journée est constituée de tâches harassantes distribuées par Kelsang le chef de groupe sous la haute surveillance de sa compagne Hélène, alors que les maigres repas préparés par Tamund suffisent à peine à combler leur appétit : "Le spectacle de ces personnes maigres qui se raccrochaient à la vie grâce à des gestes routiniers lui semblait pitoyable". Dans cet environnement triste et austère, on ne s'amuse jamais, réduit à une "petite machine obéissante et formatée".

 

C'est un événement en apparence anodin qui va venir déclencher le vent de rébellion : Liv et Nejda, les deux adolescentes du groupe, ont leurs menstruations. Autrement dit, elles sont en âge de procréer... dans un monde où, à cause des mutations génétiques qui ont touché les organes reproducteurs, on a pris l'habitude de recourir à des Centres de Procréation Assistée. Hélène, la mère de Babak et de la petite Mirren, a d'ailleurs eu recours à ce procédé. Pour Kelsang, voici une occasion inespérée de renouveler les membres du groupe qui s'amenuise comme une peau de chagrin... S'ensuit une série de manœuvres ignobles (constitution imposée de couples, discours sur "comment on fait les bébés"...) afin d'obtenir des jeunes une descendance par la force : "Quels mots utilisait-on pour expliquer à une fille qu'il fallait... écarter les jambes pour le bien de la communauté ?" !

 

Le propos peut sembler choquant cependant c'est bien la question de la liberté qu'il évoque en réalité. Dès le départ, les adultes se sont tous mépris à l'égard des adolescents, faisant preuve d'un manque de discernement psychologique désastreux. Babak, exempté des corvées à cause de sa prétendument faible constitution, rêve d'être "traité comme les autres". Afick, destiné à prendre la relève de Kelsang, n'a absolument pas l'âme d'un chef. Derrière son physique chétif, Liv cache un fort tempérament. Quant à Mirren, il ne fallait pas négliger ses visions prémonitoires... Enfermés dans des cases qui ne leur correspondent pas, ces jeunes revendiquent tous le droit de choisir qui ils souhaitent être.

 

Ainsi les saynètes, courtes et alternant les points de vue des différents protagonistes, s'enchaînent de façon rythmée autour d'une réflexion sous-jacente. La fin, ouverte, laisse le champ libre à une suite. D'autant plus qu'une autre thématique affleure au fil du texte : celui de l'eugénisme, à travers l'évocation du "patrimoine génétique" des jeunes héros, gardé secrètement dans une cave désaffectée...

Patricia Deschamps, février 2018


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