Les histoires, ça ne devrait jamais finir

roman d'Esmé PLANCHON

Faut trouver ta manière à toi d'être toi.

Bayard, 2022, 391 p.
Bayard, 2022, 391 p.

Lucien a 16 ans. Sous le pseudonyme féminin de Zora, il partage sur les forums de fanfiction sa passion absolue pour Les mondes invisibles, la célèbre saga fantastique de l'autrice mystère Maria Zumai. Lucien préfère l'imaginaire à la vie. Il préfère les discussions en ligne avec Xena plutôt que la compagnie de ses camarades d'internat. Il aime promener ses pensées au bord du lac.

Son histoire avec le réel commence lorsque Maria Zumai annonce qu'elle ne sortira pas le tome 4 tant attendu de son œuvre. En compagnie de Xena et Yuna, une autre fan des Mondes invisibles, Lucien se lance dans une enquête pour démasquer l'autrice. Une enquête dans les livres pour trouver la vérité dans la vie.

(4e de couverture)

Mon avis :

On retrouve dans ce roman le même esprit que dans Faut jouer le jeu de la même autrice. Pour Lucien, "garçon timide et myope qui préfère la fiction à la réalité", la lecture et l'imaginaire sont des refuges ("Je préférais me perdre dans les livres"). Grand fan de la trilogie fantastique Les Mondes invisibles (et là, on pense à la Harry Potter mania), il écrit des fanfics qui s'en inspirent sous le pseudo de Zora. Son identité féminine est son alter ego, elle lui permet d'être "plus soi-même", sans honte ni peur. Il y a là une jolie réflexion sur la complexité de nos personnalités ("On est tous un peu plusieurs à la fois"), sur l'importance que l'on accorde (ou pas) au regard des autres, sur le champ des possibilités qui s'ouvre à nous à chaque instant ("On n'a pas qu'une seule vie, on en a autant qu'on veut"). Pour autant, est-il impossible d'être entièrement soi dans la vraie vie?

 

Avec l'enquête sur Maria Zumaï, la mystérieuse et fuyante autrice des Mondes invisibles, Lucien/Zora va être propulsé dans la réalité. Pour la première fois, il va rencontrer sa meilleure amie Xena. Xena est une personnalité fantasque qui n'a pas peur de s'affirmer, s'affichant en gothique quand elle n'est pas en cosplay, parlant de manière aussi enthousiaste qu'à l'écrit. Et en même temps, c'est une jeune fille sensible qui exprime tout le prisme de ses émotions à travers de magnifiques dessins.

La troisième du trio de fans, c'est Yuna la précoce, qui à 12 ans en fait 8 avec son look girly, mais qui a déjà sauté deux classes et affiche une capacité de réflexion et des connaissances que la plupart des adultes n'acquièrent jamais.

Avec elles, Lucien prend peu à peu ses marques et s'épanouit, réalisant l'importance d'une amitié réelle. Leur passion commune les rassemble sans qu'ils se ressemblent.

 

Et puis il y a Léo. Léo est le grand frère de Yuna, qui l'accompagne partout à la demande de leurs parents. Léo n'est pas un fan des Mondes invisibles. Léo est dans la classe de Lucien, mais du côté des beaux gosses, des populaires, des bien dans sa peau. Le genre de garçon que Lucien n'ose pas approcher même s'il le trouve très attirant.

Sauf que Léo, comme les autres, n'est pas du tout celui qu'il semble être. Si les autres nous enferment parfois dans des clichés, il arrive qu'on les catégorise nous aussi... Léo se révèle "différent de ce que j'imaginais. Plus fragile et moins sûr de lui". Petit à petit, ce qui était pour Léo une obligation devient un plaisir: il aime accompagner le trio dans ses élucubrations et des pérégrinations sur les traces de Maria Zumaï.

 

Pour Lucien, c'est plus compliqué. Depuis la mort prématurée et douloureuse de son ami Max, il a peur de s'attacher ("C'est très dangereux de connaître des gens. Plus on en connaît, plus on risque d'en perdre"). Il culpabilise également car c'est avec Max qu'il a découvert Les Mondes invisibles et partagé en premier cette folle passion. Max est constamment dans ses pensées. S'enfermer dans le passé et la fiction a un côté rassurant. On peut inventer une suite, imaginer une autre fin, alors que "la réalité, c'est risquer d'être déçu".

 

Avec Léo, Lucien va réaliser que "c'est mieux en vrai que dans ma tête": s'enlacer et s'embrasser, c'est tout de même mieux en réalité qu'en imagination! Si la fiction aide à se construire, à grandir, à devenir soi, il faut savoir en sortir pour vivre ses propres expériences. Préférer les romans à la vie, c'est passer à côté de tant de belles choses... On a "besoin aussi de réel"!

Patricia Deschamps, mai 2023


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