Le meilleur des mondes

Aldous HUXLEY (1894-1963)

- C'est là qu'est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu'on est obligé de faire.

Pocket, 2017, 320 p.
Pocket, 2017, 320 p.

Bienvenue au Centre d'Incubation et de Conditionnement de Londres-Central. À gauche, les couveuses où l'homme moderne, artificiellement fécondé, attend de rejoindre une société parfaite. À droite : la salle de conditionnement où chaque enfant subit les stimuli qui plus tard feront son bonheur. Tel fœtus sera Alpha – l'élite – tel autre Epsilon – caste inférieure. Miracle technologique : ici commence un monde parfait, biologiquement programmé pour la stabilité éternelle...

 

Mais dans une réserve du Nouveau Mexique, un homme sauvage a échappé au programme....

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Cet incontournable manquait à ma bibliographie sur les dictatures cependant j'ai eu beaucoup de mal à adhérer. L'univers est fascinant mais riche en éléments nouveaux ainsi qu'en vocabulaire technico-scientifique qu'il faut intégrer, ce qui rend la lecture parfois laborieuse et freine l'envolée de l'imagination.

La scène d'ouverture, qui consiste en une visite du "Centre d'incubation et de conditionnement", est représentative de ce sentiment : on bute sur la technologie déployée et en même temps on se trouve choqué par le conditionnement de masse et l'encouragement à la consommation prônés par les dirigeants de cette société futuriste. Le principe de la production en série de Ford est ici appliquée à la biologie afin de créer des groupes d'hommes et de femmes uniformes, "instruments majeurs de la stabilité sociale"... Cela fait froid dans le dos !

 

Dans ce monde asservi qui ne laisse aucune place à l'individualité (il faut "faire partie du corps social"), où tout est normé (déroulement de la journée, pseudo choix des loisirs...), où la notion de famille et même de couple est remplacée par la polygamie ("chacun appartient à tous les autres") et la conception artificielle, où réflexion et dépression sont court-circuitées par des doses régulières de "soma" et autre parfum/musique hypnotisantes, Bernard Shaw fait figure d'hérétique avec ses idées subversives. Déjà, il est petit pour un Alpha - sûrement une mauvaise manipulation au cours du développement de son embryon - et cela l'empêche d'avoir le plein respect de ses pairs. Et puis il n'adhère pas au fonctionnement de la société, ne réagit guère au conditionnement. Fuyant la foule et le bruit, il rêve de "marcher et causer" avec la belle Lenina, qui ne comprend rien à ces aspirations hors cadre. Alors il reste "misérablement isolé" car "si l'on est différent, il est fatal qu'on soit seul".

 

L'intrigue prend un nouveau tournant, bien plus captivant, avec l'arrivée de Bernard et Lenina à la Réserve, vestige (méprisé) de notre monde actuel. Dans cette communauté indienne, les "sauvages" se marient encore, "les enfants naissent encore". Parmi eux, Linda, quadragénaire autrefois abandonnée là, et qui, 25 ans plus tard, se souvient toujours des préceptes assénés !.. Et le fils naturel qu'elle a eu, John.

John est un personnage très touchant. Issu des deux mondes à la fois, il n'est accepté par aucun. Malgré ses efforts, il n'a jamais réussi à se faire intégrer chez les Indiens. Embarqué chez Bernard, il est traité comme une bête de foire. Pour autant, le jeune homme est le véritable insoumis de l'histoire. Tandis que sa mère noie son désœuvrement dans l'oubli du soma, lui s'évertue (en vain) à bousculer les préjugés de ces gens formatés. Quant à Bernard, ses idées rebelles s'évanouissent dès lors qu'il faut passer à l'action.

 

Dans la dernière partie j'ai décroché à nouveau. Il s'agit d'un débat sur la science ("la science est un danger public") et sur tout ce que la "civilisation" a évincé au nom de la tranquillité d'esprit, notamment la religion ("N'est-ce pas une chose naturelle de sentir qu'il y a un Dieu?"). La fin part en cacahuète ("Succédané de Passion Violente. Une fois par mois, nous irriguons tout l'organisme avec un flot d'adrénaline") et John "le Sauvage" sera à la fois l'objet et la victime de ce SPV qui ne peut que se terminer en drame. "Vive sa Forderie !"...

Patricia Deschamps, janvier 2019


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