Le labo des sentiments

roman d'Aurélie GERLACH

Auzou, 2019, 434 p.
Auzou, 2019, 434 p.

 

Anulika – ex-danseuse devenue hybride –, Martin – en quête de reconnaissance paternelle –, Coriander – petit génie horripilant –, Cassiopée – fille à papa encore plus horripilante – et Séverin, le taiseux solitaire. Dans un futur proche, cinq jeunes gens nous racontent leur première année à SupRobotique, prestigieuse école d'ingénieurs spécialisée en robotique : coups de foudre, rivalités, états d'âme, mais aussi réflexions sur les différences humains/machines. Sans oublier la Coupe du monde de robotique, une compétition acharnée durant laquelle tous les coups seront permis !

Mon avis :

Amours et rivalités à l'école de robotique.

"Existera-t-il un jour des gens capables de réduire toute notre existence à une poignée de formules mathématiques ?". En quelques lignes, le décor et la problématique sont plantés : à SupRobotique, les graines d'ingénieurs sont "les artisans de la société de demain". Il n'y a qu'à voir la jeune Anulika qui, immobilisée suite à un accident, suit les cours grâce à son "robot de téléprésence", un écran fixé sur un socle de 1m50 projetant son visage et lui permettant de circuler dans le bâtiment. Le cours d'introduction à la robotique, avec ses histoires de capteurs/processeur/actionneurs et ses domaines d'application des nouveaux androïdes m'a rappelé l'exposé de technologie sur lequel je travaille avec mes élèves: c'est très exactement le programme dispensé en 3e ! C'est dire combien le thème est d'actualité. Un système de gants permettant de traduire la langue des signes en discours oral, une machine humanoïde se contrôlant par télépathie, le concept de "curiosité artificielle"... le roman évoque plusieurs robots d'un futur pas si lointain, avec cette éternelle interrogation : les machines sauront-elles, un jour, égaler l'homme ? ("Tous les ordres que tu donnes à ta machine peuvent être transcrits uniquement avec des 1 et des 0. Le résultat c'est que ton robot "pense" aussi en binaire. Les humains ont rarement une vision aussi nette. Les machines ont des certitudes. Elles sont pas là à se poser des questions sur ce qu'elles doivent faire de leur vie. Elles se fatiguent pas les méninges à rêvasser.") Peut-être même les surpasser ? "La programmation humaine est mal fichue", les hommes se laissent souvent dominer par leurs sentiments, point faible dont sont exempts les robots ! Mais n'est-ce pas ce qui fait de nous des êtres libres et "illimités" ? Une machine "ne peut pas aller au-delà des possibilités qui ont été définies par son créateur"... Enfin se pose la question de l'éthique : envoyer des robots militaires faire la guerre, n'est-ce pas "tuer les autres en restant à l'abri" ? Ainsi le sujet fait débat et le livre soulève plusieurs pistes de réflexion dans l'air du temps.

 

Et pour alimenter la discussion, un panel de sacrées personnalités alternent leurs voix ! D'un côté "les héritiers" : Cassiopée la "peste sophistiquée" et son ami d'enfance Paul le "beau gosse tordu", dont les familles dirigent des "géants de la technologie". Pour ces enfants gâtés, Anulika est "l'idiote dans le robot" et Coriander, petit génie exubérant de la programmation, un "monstre de foire". Ça clashe dur entre Cassiopée la glaciale et Coriander l'explosive et l'ambiance à SupRobotique est très animée ! Les dialogues sont enlevés et l'auteur nous régale de son humour à toutes les phrases, dans une écriture hautement addictive.

Par ailleurs les retournements de situation sont nombreux car chacun des protagonistes affiche un "masque" visant à se préserver des autres. Tous vont beaucoup évoluer au contact du groupe et se révéler progressivement. Derrière son insolence, Coriander cache un certain mal être. Sa jumelle Parsley vit "dans l'ombre d'une sœur dont le talent et la personnalité occupent tout l'espace". Martin doute beaucoup de lui car sa famille l'a toujours dévalorisé au profit de son aîné ("Personne n'a l'air impressionné"). Cassiopée est plus fragile qu'elle veut bien le faire croire. Quant à Séverin le flegmatique, "on ne sait jamais rien de ce qui se passe dans sa tête". Entre eux tous, les liens se font et se défont au gré des non-dits et des malentendus ("Vous n'êtes pas toujours honnêtes les uns avec les autres, ou avec vous-mêmes") et l'on a souvent "l'impression de regarder une série télé sentimentale".

 

Une chose est sûre : leur projet pour la Coupe du monde junior de robotique (alias Bruce le robot de kung-fu) constitue "le ciment de notre petit groupe" et on voit bien au fil de l'intrigue que "tout avait changé en l'espace de quelques semaines" dans leurs relations. Comme quoi les humains, comme les robots, "sont capables du meilleur comme du pire"... Les créateurs ne réalisent-ils pas leurs créatures à leur image?

Patricia Deschamps, avril 2019

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