La verluisette

conte de Roberto PIUMINI

Tes couleurs sont pour mon fils source de joie.

Le livre de poche jeunesse, 2015, 123p.
Le livre de poche jeunesse, 2015, 123p.

Dans la ville turque de Malatya vivait un peintre appelé Sakoumat. Il peignait des paysages si merveilleux que nombreux étaient les riches propriétaires de troupeaux, les marchands de chevaux ou de tissus, qui l'appelaient chez eux pour qu'il embellisse un coin de leur maison.

 

Un jour frappa à la porte de Sakoumat l'homme de confiance du vizir Ganouan. Ce dernier demandait au peintre de se rendre jusque dans sa vallée afin de lui confier un travail bien particulier: embellir les appartements de son fils malade avec des images et des couleurs. Le petit Madurer souffrait en effet d'une étrange maladie: le moindre rayon de soleil, le moindre grain de poussière était nuisible à sa santé et il ne pouvait vivre que dans une pièce fermée...

Mon avis :

Un conte touchant et poétique autour d'un enfant malade.

Madurer est une sorte d'enfant-bulle avant l'heure (nous sommes sous l'empire ottoman), condamné à vivre enfermé du fait d'un système immunitaire déficient. Parce qu'il ne peut pas "vivre au grand air et jouer dans le jardin du palais comme les autres enfants", son père le vizir a l'idée de faire venir à lui les paysages du dehors avec l'aide de Sakoumat le peintre. Celui-ci entreprend donc de représenter "les choses merveilleuses du monde" sur les murs des appartements, d'après les images que le petit garçon a repérées dans ses livres et celles issues de son imagination, des histoires racontées par son père ou par les servantes. Au fil des pages, on imagine très bien cette magnifique fresque colorée qui s'étale progressivement, réjouissant Madurer qui n'a jamais été "aussi animé". Les montagnes, la plaine et la ville assiégée, les collines désertes, le vaisseau pirate sur la mer changeante... les paysages naissent sous nos yeux en même temps que sous le pinceau infatigable de Sakoumat.

 

Mais le peintre et l'enfant ne se contentent pas de reproduire des images: les scènes représentées sur les murs évoluent au gré de leur imagination car ils ne cessent de s'inventer des histoires autour d'elles. "C'est la cabane d'un ami de Mouktoul. - Je ne me souvenais pas que Mouktoul avait un ami. - Dans l'histoire, il n'en avait pas en effet. Mais Mouktoul pouvait bien avoir un ami, n'est-ce pas?" : et les voilà qui ajoutent un personnage, un bâtiment, un objet. "Et où va cette carriole?": les deux amis s'interrogent, échangent des idées, font des choix d'un commun accord, et Sakoumat "faisait naître tout ce qu'ils connaissaient, imaginaient et désiraient", créant peu à peu entre eux une belle et précieuse complicité.

 

Ainsi, davantage que de maladie, il est avant tout question dans ce récit du pouvoir et de la liberté de créer. Et dans cette joie partagée, le peintre prend autant de plaisir que l'enfant! Leur projet s'étend sur des mois et l'on sent bien toute la tendresse que Sakoumat développe pour Madurer, tel un second père. C'est d'ailleurs le petit garçon qui lui (nous!) apprendra que la verluisette est "une plante lumineuse qui brille dans les nuits sereines". Une sérénité qui est de plus en plus difficile à conserver au vue des crises de Madurer... Au point qu'un jour, celui-ci demande au peintre de modifier les scènes peintes afin d'y marquer le temps qui passe, comme dans la vraie vie... Mouktoul, devenu vieux, a donné ses chèvres... L'ours, dans la montagne, est entré en hibernation... "Tout le paysage de la première pièce avait changé: pas de façon très visible, mais dans chaque détail". Peu à peu la vie s'éteint dans la pièce... Mais la magie de ces heures, elle, restera!

 

Patricia Deschamps, septembre 2019


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