La fourmi rouge

roman d'Emilie CHAZERAND

Certes, nous sommes tous des fourmis, vus de la lune. Mais tu peux être la rouge parmi les noires.

Sarbacane, 2017, 254 p. (Exprim')
Sarbacane, 2017, 254 p. (Exprim')

Vania Strudel a 15 ans, un œil qui part en vrille et une vie qui prend à peu près la même direction. Et ce, à cause de :

- Sa mère, qui est morte quand elle avait huit ans.

- Son père, un taxidermiste farfelu.

- Pierre-Rachid, son pote de toujours, qui risque de ne plus le rester…

- Son ennemie jurée, Charlotte Kramer la star du lycée.

- Sa rentrée en Seconde, proprement catastrophique.

 

Pour Vania, c’est clair : l’existence est une succession de vacheries, et elle est condamnée à n’être personne. Une fourmi parmi d’autres. Mais un soir, elle reçoit un mail anonyme, qui lui explique en détail que non, elle n’est pas une banale fourmi noire sans aspérités. Elle serait même plutôt du genre vive, colorée, piquante ! Du genre fourmi rouge…

(Texte éditeur)

Mon avis :

Dans la veine d'une Axl Cendres, Emilie Chazerand offre une ribambelle de portraits truculents, entre rire et émotion.

Vania Strudel a un sens de la répartie aussi décapant que son patronyme. Dès le départ le ton est donné : "Je Suis Minable Et J'aime Ça !", scande-t-elle avec son complice de toujours, Pierrach. Aussi "inséparables" que "pestiférés", "on se protégeait l'un l'autre", Vania d'un physique ingrat (elle a un ptosis à l’œil qui lui maintient la paupière mi-close), Pierre-Rachid d'une origine marocaine ne facilitant pas l'intégration (même si son père y tient vraiment beaucoup). Ainsi, "C'est tellement génial de partager son cerveau détraqué avec quelqu'un, d'être à deux sur les mêmes pensées folles plutôt que seul face à sa raison".

Dans "le Club officiel des Minables", il y a aussi depuis peu sa meilleure amie Victoire qui, atteinte du fish-odor syndrom à cause d'une histoire d'enzymes, "schlinguait grave sa race le poisson pourri". Avec elle, Vania s'imagine un petit ami idéal (Bastien) et autres "inventions fantaisistes et abracadabrantes" pour mieux supporter la réalité.

 

La réalité, c'est le vide créé par l'absence d'une mère, difficilement comblé par un père maladroit. Ce sont les moqueries quotidiennes en classe et un univers restreint à une vieille fille à l'étage du dessus (Rachel) dont elle garde parfois le père "à l'activité cérébrale plutôt molle" et parfaitement silencieux. Des voisins auxquels l'adolescente s'est attachée mais qui ne l'empêchent pas de ressentir un profond mal-être. Car derrière l'auto-dérision c'est bien la souffrance que l'on décèle, une souffrance touchante mais aussi agaçante de méchanceté, Vania ne ménageant pas ses proches. Or, "jouer l'éternelle victime et te complaire dans ton malheur" n'a jamais rien résolu.

 

Le mail anonyme que la jeune fille reçoit amorce chez elle une réflexion un peu plus constructive : "Peut-être que c'est ça la clef du bonheur : arrêter de faire semblant". Car Vania cache "trop de secrets", devenus lourds et même gênants. Comme ces lettres reçues tous les mois et qu'elle cache sous son lit. Si sa fierté l'empêche de se confier, la menant à l'affrontement avec tout le monde, elle finira par changer imperceptiblement de point de vue ("Parfois, le héros, c'est juste celui qui choisit de rester") et par amorcer un changement d'attitude bénéfique.

Si certaines révélations finales étaient prévisibles (le secret du père, l'auteur du mail) et que l'intrigue est un peu plate, ce roman initiatique regorge de répliques très drôles et se clôt sur une belle conclusion à méditer : "L'important, c'est ce qu'on fait d'une situation qu'on n'a pas voulue" !

 

Patricia Deschamps, octobre 2017


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