La fosse au loup

roman d'Alexandre CHARDIN

- Tu pues ! Mais t'es mon père !

Thierry Magnier, 2018, 196 p.
Thierry Magnier, 2018, 196 p.

 

Quand Blanche, 13 ans, débarque dans ce coin perdu de la forêt, elle n'en croit pas ses yeux. Cet homme sauvage vivant dans une cabane délabrée est-il vraiment son père? Il veut qu'elle parte. Elle restera !

 

Pour se rapprocher de lui, Blanche ira jusqu'à lui faire la promesse de l'aider à capturer ce loup qu'il traque sans succès depuis des années. Mais ce loup existe-t-il vraiment ?

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Quand une adolescente est déterminée à retrouver son papa "d'avant".

Voici un roman un peu déstabilisant, assurément atypique... Qui entre d'emblée dans le vif du sujet. Avec un style percutant. Beaucoup de dialogues aux répliques courtes, souvent cinglantes, qui fusent comme des épines entre les personnages (certains échanges me donnaient l'impression d'assister à une scène théâtrale).

 

Peu de protagonistes dans ce huis clos en forêt. La mère est seulement évoquée - pas concernée par le drame qui se joue. Le drame tourne autour du père, de ce qu'il est devenu, de ce qu'il a été. Lucie, l'aînée, ne voit que le présent, en souffre. Blanche, l'héroïne, n'a pas oublié l'homme qu'il était, ce qu'il faisait pour elles autrefois. Avant la maladie, les hallucinations ("Il voyait des animaux partout, il criait en pleine nuit"), les médicaments, le séjour en hôpital psychiatrique. Le divorce, au bout du compte. La déchéance. Aujourd'hui l'homme est devenu un "sauvage". Mais Blanche "est de celles qui ne renoncent pas".

 

S'il y a un mot, un sentiment qui pourrait résumer ce livre, c'est la peur. C'est bien la peur qui est à l'origine du mal être de Lucie, amaigrie, agressive, qui "fait la dure" pour mieux cacher sa fragilité, qui a d'ailleurs "déjà pensé à la mort" ("J'ai peur d'être comme lui"). Blanche, de son côté, a peur "de ce qu'elle va découvrir" en débarquant chez son père - c'est même pire que ce qu'elle imaginait - mais elle a décidé d'affronter cette peur une bonne fois pour toutes, dans l'espoir de s'en débarrasser, enfin. Les deux sœurs sont "à fleur de peau", éloignées l'une de l'autre depuis des mois: "On ne s'entend plus. On ne se connaît plus". Dans cette démarche initiée par leur mère ("Il va mal. J'aimerais... que tu y ailles. Que tu ailles le voir. Juste pour vérifier..."), malgré elle(s), Blanche voit l'occasion aussi de se rapprocher de Lucie ("Tu me manques"), l'occasion de se livrer leurs sentiments, d'abandonner le "masque".

 

Un quatrième personnage va faire le lien entre ces trois-là: Laurent, le voisin, instituteur retraité qui veille sur le père. Laurent soutient la démarche de Blanche ("Je vous assure qu'il y a ici des instants de pur bonheur. De magie."), l'aidant à gérer les émotions de Lucie, à mieux comprendre Pierre, à lui redonner figure humaine : "Il faut savoir entendre entre ses phrases et lire derrière ses regards si on veut comprendre qui il est". Le père est peu loquace ("On ne se parle pas beaucoup") mais à force de petites attentions et de remémoration de souvenirs communs, peu à peu Pierre change, "toujours plus proche du père qui était le mien", et "la peur s'étiole".

 

Malgré le titre, il est assez peu question de loup. La bête est évoquée dans la toute dernière partie: le père est (le seul) persuadé qu'un loup rôde dans la forêt. Il parcourt les bois à longueur de journées (et parfois de nuits) afin de poser des pièges et de guetter. Blanche sent bien que ce loup, fictif ou réel, est au cœur de la maladie (peut-être même son symbole) et qu'il est nécessaire, une fois encore, de poser le problème une bonne fois pour toutes : "Je suis prête à tout pour te sortir de là! Même à entrer dans ta folie pour ça!".

 

Oui elle fait preuve d'un grand courage, cette jeune fille, et d'une grande maturité. Même si au bout du compte, tout ne sera évidemment pas réglé ("Il faudra du temps"), sa ténacité lui aura permis de gagner sa bataille... et d'ouvrir une porte d'espoir, pâle mais éclairée, dans le tunnel des relations familiales.

 

Patricia Deschamps, août 2019



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