Je m'appelle Marie

roman de Jacques SAGLIER

J'en ai plus qu'assez de cette débauche d'angoisse et de culpabilité, de ces comptes d'apothicaire pour savoir qui est juif et qui ne l'est pas. Je m'en fiche! Je m'en tape! Je n'ai rien demandé! Nous n'avons pas tué, pas volé! Je suis juive? Et alors? D'abord je m'en fous, et ensuite, je vous emmerde!

 

Février 1943.

Parce que son père a des ancêtres juifs, Marie, dix-sept ans, et sa famille font partie des parias de la société. Pour autant, Marie n’est jamais allée dans une synagogue et le mot « juif » n’a aucune signification pour elle.

 

Cachés près d’Avignon, les parents, Jacques et Jacqueline, et leurs trois filles sont dénoncés et incarcérés à la prison St Pierre à Marseille, puis transférés à Drancy fin août 1943. 

(4e de couverture)

Mon avis :

Jacques Saglier reconstitue le récit de sa famille juive pendant la Seconde Guerre mondiale entre Histoire, émotion et documents d'époque.

Fils du frère de la narratrice, Marie, l'auteur explique dans un épilogue poignant combien l'histoire familiale a longtemps été taboue et comment ses recherches et sa réflexion l'ont mené à ce roman. Celui-ci est égrené de lettres et de photos retrouvées dans les archives familiales, ce qui lui confère un réalisme touchant : oui ces gens ont véritablement existé, et voici ce qu'ils ont souffert...

 

D'abord il y a l'arrestation en pleine nuit (sur dénonciation...) et le séjour à la prison Saint-Pierre. Mais rapidement, Marie, ses deux sœurs aînées et leurs parents sont envoyés dans le camp de Drancy en région parisienne. Leur situation est en plein ballottage, parce que Grand'mère Suzanne a entrepris des démarches (faux documents de baptême et de mariage à l'appui) pour contester l'appartenance à la race juive de sa fille, et par répercussion, de ses petites-filles. La famille y gagne un sursis : rien ne prouve qu'ils sont juifs, mais rien ne prouve non plus qu'ils ne le sont pas, et dans l'attente de la décision du Commissariat aux questions juives, ils sont pour un temps considérés comme "non déportables". Si toute cette paperasserie administrative exaspère Marie (notamment l'examen ethno-racial que doit subir sa grand-mère par un pseudo anthropologue pour déterminer son sémitisme en fonction de ses caractéristiques physiques !..), elle reconnaît qu'il est appréciable de ne pas faire partie des convois de déportés vers la Pologne (pour quoi faire d'ailleurs?) et surtout d'être encore en famille ("Nous sommes ensemble, ça me donne de la force"). A Drancy chacun a un rôle précis (Marie coud les étoiles sur les vêtements) ce qui occupe les journées, on s'entraide volontiers entre détenus (la jeune femme se liera notamment avec une certaine Perla) et Marie peut compter sur l'affection et le soutien des siens (l'optimisme de son père affleure dans chacune de ses lettres).

 

Mais ce qui caractérise le mieux l'héroïne, c'est son caractère bien trempé et cette colère rentrée qui l'anime. Petite dernière, Marie s'exaspère qu'on la considère encore comme une enfant à bientôt 18 ans qu'elle a. Et puis elle vit la situation comme une profonde injustice, la famille n'étant pas du tout pratiquante. D'ailleurs on apprend plein de petits détails sur le judaïsme à travers les questions qu'elle pose à Perla (sur la langue yiddish, la journée du Yom Kippour, la prière Shéma Israël). De même, je ne connaissais pas le Lévitan, ancien magasin servant à entreposer tous les biens volés aux Juifs déportés. Et ce sont des Juifs qui sont chargés de trier et nettoyer tous ces meubles et objets dans lesquels les Allemands se servent sans vergogne... Une fois de plus on oscille entre révolte et compassion, à l'image de la jeune Marie.

On sait que l'histoire ne peut pas se terminer bien, mais on salue le courage de tous ces gens aux vies détruites, de leurs survivants qui ont dû faire avec le drame et de ceux qui, comme Jacques Saglier, font en sorte que personne n'oublie jamais.

 

Patricia Deschamps, juin 2019


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