Dopamine

roman de Patrick BARD

L'oubli, ça existe pas sur les réseaux.

Syros, 2022, 207 p.
Syros, 2022, 207 p.

 

Février 2021 : le corps d'une jeune fille de quatorze ans est retrouvé dans la Marne. Ses meurtriers, identifiés très vite, sont deux camarades de classe. Une fille et un garçon qui ne semblent pas conscients de la gravité de leur acte et invoquent des mobiles inconsistants. Entre addiction aux écrans, haine déversée sur les réseaux sociaux, harcèlement et calomnie, le juge d'instruction chargé de l'affaire décide de décrypter la mécanique du meurtre.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

L'histoire est racontée du point de vue du juge d'instruction qui fait défiler les témoins dans son bureau (un peu comme dans Run Billie de Claire Loup). On connaît déjà les deux coupables, toute l'intrigue consiste donc à démêler le mécanisme qui a mené au meurtre de la jeune Louna.

 

D'un côté Emma, "la cancre rebelle" à l'enfance chaotique, ballotée de foyer en famille d'accueil et qui ne jure que par les réseaux sociaux ("Sa popularité et son pouvoir, sur les réseaux, ça revenait au même"). Dans sa chasse aux likes, Emma ne s'encombre d'aucun scrupule ("Qu'importait l'absence de preuves, la rumeur. Seul comptait le nombre de partages, le nombre de likes"). L'adolescente a récemment réintégré le foyer de sa mère mais le confinement du printemps 2020 détériore leur relation déjà fragile.

 

Du côté d'Enzo, le confinement a accentué le sentiment de solitude (il vit seul avec sa mère, son père est mort dans un accident de voiture). Déjà accro aux jeux vidéos, Enzo le devient encore plus à sa... girlfriend virtuelle. Krystal l'intelligence artificielle ressemble beaucoup à celle de Scarlett et Novak (par Alain Damasio): sa programmation subtile en fait une compagnie attachante et le jeune homme en tombe amoureux ("Il avait l'impression de s'adresser à une vraie personne"). Il devient complètement déconnecté de la vraie vie. Jusqu'à ce qu'il rencontre Emma.

 

Louna est le trait d'union entre les deux protagonistes: elle sort (un temps) avec l'un et devient amie avec l'autre. Mais Emma et Enzo sont tous deux instables ("Enzo, toi et moi, on a un truc en commun: la souffrance"). Et comme on le sait, tout cela va mal se terminer...

 

Parents défaillants, manque de repères familiaux, recherche d'attention et de respect, confinement, amour, deuil, addictions... Le roman brasse beaucoup de thèmes, ce qui est intéressant (tout est subtilement imbriqué) mais donne aussi l'impression que le récit part dans des digressions rendant certains passages trop longs (les échanges avec Krystal, le passé de Louna). La réflexion essentielle tourne autour des réseaux sociaux dont les inventeurs "ont ouvert une boîte de Pandore qu'ils sont bien incapables de refermer". La faute à la dopamine, "la molécule du désir" qui nous met en quête du "plus, plus, plus, toujours plus" (ou "celle du jamais assez"). Ce que je retiendrai néanmoins, c'est le rôle primordial des adultes, à la fois dans la gestion de ces nouveaux outils mais aussi dans celle des situations. Si Enzo et Emma sont partis à la dérive, c'est en partie parce qu'ils sont eux-mêmes victimes d'adultes défaillants...

Patricia Deschamps, décembre 2022



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