Algues vertes, l'histoire interdite

BD d'Inès LERAUD et Pierre VAN HOVE

Delcourt, 2019, 160 p.
Delcourt, 2019, 160 p.

Pas moins de 3 hommes et 40 animaux ont été retrouvés morts sur les plages bretonnes. L'identité du tueur est un secret de polichinelle : les algues vertes.

 

Des échantillons qui disparaissent dans les laboratoires, des corps enterrés avant d'être autopsiés, des jeux d'influence, des pressions et un silence de plomb: l'affaire dure depuis des dizaines d'années. Inès Léraud et Pierre Van Hove proposent une enquête sans précédent, faisant intervenir lanceurs d'alerte, scientifiques, agriculteurs et politiques.

(4e de couverture)

Mon avis :

Une enquête édifiante sur une affaire consternante.

C'est un travail méthodique et complet qu'a réalisé Inès Léraud sur les marées vertes en Bretagne. Documents en annexe à l'appui, elle retrace de manière très claire faits et démarches: les cadavres d'animaux et même d'humains retrouvés sur les plages engluées d'algues vertes, les incroyables taux d'hydrogène sulfuré (H2S) retrouvés dans les corps, les alertes lancées par certains médecins et étouffées par les autorités. La négligence de ceux qui nous gouvernent localement - maires, préfets, procureurs - mais aussi des organismes de santé (DDASS), et bien sûr, des grands groupes industriels avec qui ils sont de connivence, est révoltante: "Contre ces gens-là, on est démunis". Tous sont dans le déni du danger mortel que représentent ces algues pour préserver leurs intérêts économiques ("Parler des algues vertes à la télé, c'est très discréditant pour l'image de la Bretagne... Vous comprenez?").

 

Dans la seconde moitié de la bande dessinée, l'autrice explique les origines de cette pollution marine: l'agriculture intensive. Elle remonte à l'après-guerre avec le plan Marshall qui a entraîné l'industrialisation forcée de l'agriculture française par les Américains. J'ai été choquée par l'élevage intensif des porcs avec des cheptels allant jusqu'à 2000 animaux parqués dans des hangars... Ce sont les rejets de ces bêtes, ajoutés à l'azote des engrais se transformant en nitrates, qui polluent les eaux de la région (et des régions environnantes...). La seule solution serait de revenir à des exploitations à taille humaine mais la pression de la puissante et richissime filière agroalimentaire est telle qu'il est extrêmement difficile pour les agriculteurs de revenir en arrière. Je ne pensais pas que les lobbies étaient si importants, c'est un véritable empire breton qui nous assaille au quotidien, quelques plus grandes fortunes de France centralisant des dizaines de marques (et banques...) célèbres.

 

Il y a heureusement eu des initiatives écologiques, comme le Plan Algues Vertes ou encore de meilleurs équipements de protection pour les hommes chargés de nettoyer les plages, mais les spécialistes scientifiques sont bien souvent écartés des organismes de vérification des mesures exigées... Et dans les hautes sphères, on continue de nier la gravité de la situation: les publications sont rares et leur véracité démentie. L'initiative de cette BD est d'autant plus courageuse et surtout indispensable pour informer le grand public de ce qui se trame en coulisse depuis des années. Je ne verrai plus la Bretagne de la même façon, ni surtout, ma façon de consommer.

Patricia Deschamps, mars 2021


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