C'est le principe même de notre existence. Perdre l'équilibre puis le rétablir. Chaque fois plus solide.
Gabrielle, 30 ans, infirmière, s’occupe de grands prématurés dans un service de néonatologie intensive. L’univers de la jeune femme s’est réduit aux quelques mètres carrés de la salle 79, où elle glisse lentement dans l’indifférence, lorsqu’elle découvre l’histoire de Mademoiselle Papillon.
En 1920, dans une France ravagée par la Première Guerre mondiale, cette infirmière de la Croix-Rouge est envoyée au dispensaire de Vraignes-en-Vermandois. Alors qu’elle tente de mener à bien sa mission, la vision des enfants qui succombent dans la rue l’obsède. Une ambition se forme : bâtir une maison pour les protéger. Lorsqu’elle franchit le seuil de la sublime abbaye de Valloires, Mademoiselle Papillon est convaincue d’approcher son rêve.
Mon avis :
Un hommage émouvant au métier d'infirmière.
C'est un double récit qui s'entrecroise autour du même métier: celui de Gabrielle, usée psychologiquement par son quotidien auprès des bébés prématurés ("La peine s'est amassée en moi"), qui se sent trop souvent impuissante à les sauver, à soutenir les parents dans une épreuve dont on ne ressort pas toujours vainqueur; et celui de Thérèse Papillon, authentique infirmière ayant œuvré dès l'après Grande Guerre pour le bien-être des enfants pauvres ("La guerre a cessé mais elle est partout encore") et ayant contribué à protéger des enfants juifs pendant la Seconde. Le lien entre elles deux? L'histoire de Mlle Papillon est issue du manuscrit de la mère de Gabrielle, écrivaine.
Le parallèle s'établit d'emblée entre les deux infirmières, ou plutôt leur contraste. Gabrielle envie l'énergie et la détermination de son homologue d'autrefois qui a su monter, seule ("Aujourd'hui, nous, les femmes, sommes en première ligne"), le projet d'aménagement de l'abbaye de Valloires en préventorium pour enfants (la tuberculose sévit à l'époque). A travers les carnets de bord de Mlle Papillon, on suit les grandes étapes de son dessein, habilement dosées entre des informations suffisamment précises pour que l'on se projette, mais suffisamment espacées dans le temps pour que l'on ne s'enferre pas dans les détails. L'auteure s'est appuyée sur de nombreux documents et interviews et le récit est truffé d'anecdotes tout autant que d'émotions.
C'est là également la grande réussite de ce roman: cette capacité à nous propulser au cœur des grandes inquiétudes et des petites exaltations, de nous faire partager les frustrations et les doutes des héroïnes dans bon nombre de moments émouvants. J'ai beaucoup aimé les scènes dans la salle 79, où l'on suit tour à tour l'effervescence de l'équipe soignante, la détresse des parents et les remises en question de Gabrielle. On se doute que la biographie de Thérèse Papillon va provoquer chez elle un regain d'engouement, tant sont prégnantes la bienveillance, l'altruisme et le courage de cette femme. Mais comment?
Ce que l'on apprend avec Thérèse Papillon, c'est une certaine philosophie de la vie. Le roman se teinte en effet d'une réflexion plus large sur l'existence, sur le fait notamment de s'accommoder des circonstances, de "faire avec" les soucis et surtout "avec qui je suis". Il n'est pas question d'imiter mais de s'inspirer, en accord avec sa propre personnalité, de sa propre perception des choses, de sa propre sensibilité. De s'ouvrir aux suggestions des autres, à la nouveauté, d'être partie prenante de ce qui se passe autour de soi plutôt que de s'enfermer dans une routine qui ne fait plus sens. C'est ainsi que Gabrielle découvrira le Nidcap, une nouvelle façon d'appréhender les soins aux prématurés. Qu'elle osera faire connaissance avec son voisin qu'elle observe de loin depuis si longtemps. Qu'elle aura un échange aussi surprenant que constructif avec sa mère.
C'est donc une belle histoire sur "le pouvoir du don de soi", de la passion capable de rayonner en nous, qui illumine les autres, se transmet autour de soi, rendant le monde un tout petit peu meilleur. Et c'est déjà beaucoup.
Patricia Deschamps, novembre 2020