Mademoiselle Baudelaire

Bande dessinée de YSLAIRE

- Alors, dis-moi le pire : voir le monde tel qu'il est ? Ou le transfigurer par l'imagination? Rien de ce qui est le réalisme du monde ne me satisfait...

Dupuis, 2021, 160 p.
Dupuis, 2021, 160 p.

C'est Jeanne Duval, celle que le poète a le plus aimée et le plus maudite, que le dessinateur a choisie pour revisiter la matière sulfureuse et autobiographique des Fleurs du mal.

De Jeanne, pourtant, on ne sait presque rien, ni son vrai nom, ni sa date de naissance, ni sa date de décès. Aucune lettre signée de sa main ne nous est parvenue. Restent quelques témoignages, des portraits dessinés par Baudelaire lui-même, une photo de Nadar non authentifiée, sans oublier les poèmes qu'elle lui a inspirés. Elle qui était stigmatisée comme mulâtresse, créole et surnommée "Vénus noire", aimante tous les préjugés d'un siècle misogyne et raciste.

(4e de couverture)

Mon avis :

Feuilleter le début de l'album
Feuilleter le début de l'album

Baudelaire a toujours été mon poète préféré. J'ai pris plaisir à relire certains de ses poèmes en juin avec ma fille qui préparait l'oral du bac de français. Cette bande dessinée rend hommage à sa muse, la mystérieuse Jeanne, qui revient sur sa vie mouvementée aux côtés du "poète maudit" à l'occasion de sa mort. Le texte oscille entre récit biographique et extraits de poèmes, tandis que le graphisme, à la construction et aux jeux de couleurs très recherchés, évoque l'univers torturé de l'artiste. J'ai beaucoup aimé le sépia et j'ai été bluffée par le crayonné qui rend si bien les volumes des personnages. Dans certaines vignettes pleine page, l'onirique s'invite pour mieux nous faire ressentir l'état d'esprit de cet artiste pour qui les vers étaient "sa seule manière d'exprimer ses émotions".

 

L'album donne une idée concise de son quotidien, entre les dettes (puis la tutelle judiciaire), la maladie (la syphilis), les addictions (notamment au laudanum), les crises de désespoir ("Le mal qui me ronge, c'est l'ennui"), les disputes de plus en plus violentes et même quelques actions politiques ("des promesses sociales utopiques"). Mais le centre de sa vie, c'est bien sûr la création littéraire et l'on croise bon nombre de figures montantes telles que Nerval, Nadar, Gustave Courbet et Théophile Gautier. "Tous ces rebelles d'à peine 20 ans se reconnaissaient à leur tenues débraillées, leur mépris des conventions bourgeoises et leurs ambitions"... mais aussi leurs préjugés sexistes et racistes envers celle que l'on surnommera "la négresse", "la mulâtresse", la "Vénus noire" du poète.

 

Pour ce jeune homme raffiné, ce dandy toujours impeccable dans ses costumes noirs et ses chemises au col amidonné (même dans la plus extrême pauvreté) qui prétendait "ne pouvoir écrire qu'entouré de luxe, de calme, de volupté et de ma sombre beauté", Jeanne est "la belle ténébreuse", "cette chère indolente" qui lui inspire ses vers les plus beaux. Toute son existence, Jeanne sera présente pour inspirer et assister dans sa création celui qui "voulait vivre hors du monde et n'avait pas les pieds sur terre", mais elle sera pourtant dévalorisée voire ignorée par tous. Aujourd'hui il ne reste pus grand chose d'elle... à part de magnifiques et inimitables poèmes.

Patricia Deschamps, novembre 2022


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