Les femmes qui lisent sont dangereuses

documentaire de Laure ADLER et Stefan BOLLMANN

La lecture intensive, c'est l'exploration de notre liberté créatrice. De cette liberté, saurons-nous faire quelque chose ?

Flammarion, 2015, 147 p.
Flammarion, 2015, 147 p.

L'histoire de la lecture féminine se reflète dans la peinture et la photographie. Les artistes de toutes les époques ont représenté des femmes en train de lire. Pourtant, il aura fallu des siècles avant qu'il soit accordé aux femmes de lire à leur guise. Ce qui leur incombait d'abord, c'était de broder, de prier, de s'occuper des enfants et de cuisiner. Dès l'instant où elles envisagent la lecture comme une possibilité de troquer l'étroitesse du monde domestique contre l'espace illimité de la pensée, de l'imagination, mais aussi du savoir, les femmes deviennent dangereuses. En lisant, elles s'approprient des connaissances et des expériences auxquelles la société ne les avait pas prédestinées. Un choix d'œuvres commentées illustre cette évolution.

Mon avis :

Le droit de lire, la liberté de choisir sa lecture mais aussi le lieu et le moment: cela aussi a été un combat que les femmes ont dû mener. Cette évolution des pratiques de lecture peut se voir à travers les œuvres picturales, qui ont été nombreuses à représenter l'intimité du moment. Mais ce que représente avant tout ce choix de tableaux, "c'est l'alliance que la femme qui lit en silence conclut avec le livre", alliance qui "la soustrait au contrôle de la société et de son environnement immédiat". Avec la lecture, la femme gagne "un sentiment autonome d'identité", elle commence à "se forger sa propre image du monde". J'ai trouvé les textes en introduction vraiment trop denses mais j'ai apprécié que les œuvres soient regroupées par thèmes: pour moi, c'est un livre où l'on pioche en fonction de ses goûts, de ce que le tableau provoque en nous, et j'ai préféré lire les commentaires qui y étaient associés.

Le premier tableau qui a attiré mon attention, c'est le portrait de Madame de Pompadour par François Boucher (premier peintre du roi Louis XV): j'ai aimé la pose désinvolte de la courtisane et en même temps quelle élégance! La composition est très étudiée, "à la fois intime et mise en scène". On retrouve la même élégance chez la "Jeune fille lisant" de Fragonard, mais elle est concentrée, et sa façon de tenir le livre à quatre doigts m'a rappelée la mienne. Il se dégage de la "Jeune fille lisant" de Franz Eybl une grande sensibilité: on la sent touchée par sa lecture, parce que celle-ci "stimule et accroît les facultés d'identification et d'empathie".

 

J'ai aimé la série de tableaux avec des fillettes, où l'on voit les moments partagés entre sœurs ou amies, puis ceux entre mère et filles, ou encore en couple. Mais attention, quand on est une lectrice passionnée, à ne pas confondre la vie et la lecture, comme Emma Bovary! "La liseuse" de J.-J. Henner a une posture de lecture décontractée (allongée) que j'affectionne également. On la sent immergée dans son livre!

J'ai trouvé attendrissante la jeune femme de Charles Barber qui lit avec son chien dans les bras. Chez moi, ce sont les chats, mais la complicité est la même! Ils sont souvent à mes pieds, comme dans "Roseraie"  de Peter Kroyer dont j'aime le côté impressionniste, ou bien sous le transat lors des lectures au jardin dont la décontraction est parfaitement rendue par Walter Palmer dans "L'après-midi dans le hamac".

 

Ce qui me plaît dans le tableau choisi en couverture, "Rêves" de Vittorio Corcos, c'est l'assurance de la femme "consciente d'elle-même" dont le regard semble nous défier. Désormais, les femmes lisent davantage que les hommes, et si la lecture les rend souriantes et épanouies comme sur la photographie d'institutrice d'August Sander, c'est parce que, à l'image de Marilyn Monroe lisant "Ulysse" sur la photographie d'Eve Arnold, elles "ont tendance à chercher dans les livres des réponses à des questions vitales essentielles".

Patricia Deschamps, novembre 2022

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