Le collier rouge

roman de Jean-Christophe RUFIN

Il était entré dans l'armée pour défendre l'ordre contre la barbarie. Il était devenu militaire pour être au service des hommes. C'était un malentendu, bien sûr. La guerre n'allait pas tarder à lui faire découvrir que c'était l'inverse, que l'ordre se nourrit des êtres humains, qu'il les consomme et les broie.

Gallimard, 2014, 163 p. (Folio)
Gallimard, 2014, 163 p. (Folio)

Été 1919.

La Grande Guerre est terminée et pourtant, il reste un prisonnier dans l'ancienne caserne. Il s'agit de Jacques Morlac, un soldat décoré de la Légion d'honneur. Dehors, son chien ne cesse d'aboyer, jour et nuit, malgré la canicule.


Le juge Lantier du Guez est chargé de l'instruction de l'affaire. Jour après jour, il vient interroger Morlac dans sa cellule, afin de comprendre comment cet homme a pu à la fois "défendre la Nation et la vomir".


De quel acte outrageant est donc accusé Morlac ? Lantier peut-il lui attribuer des circonstances atténuantes ? Et quel rôle le chien a-t-il joué dans les événements ?

Mon avis :

Bande annonce du film de Jean Becker (2018)
Bande annonce du film de Jean Becker (2018)

Parfois le hasard met un livre entre vos mains et vous fait découvrir une œuvre forte et marquante. Celui de Jean-Christophe Rufin, de l'Académie française, est de ceux-là. Parcourant les premières lignes tandis que je m'apprêtais à le cataloguer, j'ai aussitôt été happée par l'histoire !

 

Tout commence par une atmosphère tangible, entre canicule et lassitude d'après-guerre, dans un petit village de campagne paisible. L'ambiance est méditative. D'ailleurs le juge Lantier, qui tient à se montrer le plus impartial possible, prend le temps de réfléchir à l'affaire lors de pauses à son hôtel ou pendant de longues balades en forêt où "l'irruption de la volonté humaine dans le chaos de la nature ressemble assez à la naissance de l'idée dans le magma des pensées confuses". Morlac l'intrigue : il est déterminé à se voir condamné et Lantier ne comprends pas pourquoi.

 

Car le point fort de ce récit historique, c'est qu'il se déroule comme une enquête, un mystère à percer. A la différence du juge, le lecteur ne sait pas quel outrage public le soldat a commis. Les séances de confession, complétées par l'interrogatoire des différents protagonistes (notamment Valentine, avec qui Morlac a eu un petit garçon) vont peu à peu éclairer le sens de ses actes. On se doute que le soldat a des revendications à faire remonter "aux gradés, aux hommes politiques (...) qui envoient les autres à la guerre (...) et aussi ceux qui croient à ces balivernes : l'héroïsme ! la bravoure ! le patriotisme !.." On sent ce fils d'agriculteur profondément marqué par les horreurs de la guerre, révolté aussi suite à ce qu'il a vécu au front d'Orient où on l'a envoyé combattre les Bulgares aux côtés des Russes. Malgré tout, l'acte qu'on lui reproche (qui n'est dévoilé qu'à la fin) ne semble pas si outrageant, mais il est vrai qu'il faut le replacer dans le contexte de l'époque.

 

Cet acte concerne aussi son chien, et c'est le deuxième aspect original du roman. Surnommé Guillaume (en référence à l'empereur allemand), celui-ci a suivi son maître tout au long de la guerre, comme un véritable compagnon d'armes. Plus d'une fois blessé, il a d'ailleurs "l'allure d'un vieux guerrier". Pour autant Morlac semble indifférent à cet animal si dévoué, et même méprisant : "Il avait toutes les qualités qu'on attendait d'un soldat : loyal jusqu'à la mort, courageux, sans pitié pour les ennemis. (...) Et nous qui n'étions pas des chiens, on nous demandait la même chose. Les distinctions, médailles, citations, tout cela était fait pour récompenser des actes de bêtes"...

Enfin, l'histoire se teinte d'une intrigue amoureuse autour du personnage de Valentine, impliquée elle aussi, à sa manière, dans des idéologies politiques. Le tout donne un roman captivant, avec une écriture de qualité mais suffisamment simple et claire pour être lu dès le collège.

Patricia Deschamps, septembre 2015


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