La Vénus d'Ille

de Prosper MERIMEE (1803-1870)

Après plusieurs écrits littéraires dans différents genres, notamment des drames romantiques à la reconstitution historique précise comme Chronique du règne de Charles IX, Mérimée trouve sa voie à partir de 1829 en publiant des nouvelles qui s'appuient elles aussi sur une solide documentation : Colomba (qui évoque la Corse) et Carmen (l'Espagne).

 

La nouvelle La Vénus d'Ille marque quant à elle l'intérêt de l'écrivain pour le fantastique. Cependant il n'y a pas à opposer le fantastique de Mérimée à son réalisme : c'est toujours dans un univers très banal que les phénomènes extraordinaires surgissent... ce qui les rend d'autant plus inquiétants. Le fantastique de Mérimée repose d'ailleurs sur l’ambiguïté : on ne peut ni retenir ni rejeter d'explications rationnelles à ce qui arrive...

 

Le succès de ces nouvelles est immédiat et lui vaut d'être élu à l'Académie française.

Source : Itinéraires littéraires, Hatier

 

- nouvelle fantastique, 1837 -

Hachette, 2001, 120 p. (Biblio collège)
Hachette, 2001, 120 p. (Biblio collège)

En visite dans la petite ville catalane d'Ille, le narrateur est reçu par M. de Peyrehorade, un riche antiquaire qui accepte de lui servir de guide à travers les ruines antiques. Le premier vestige que présente M. de Peyrehorade à son hôte est une magnifique statue romaine en bronze qu'il a découverte par hasard dans son jardin. Une Vénus que l'on soupçonne maléfique, car elle a blessé celui qui l'a déterrée...

 

Le jeune homme ne croit pas à ces sornettes... jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance d'Alphonse, le fils de M. de Peyrehorade, qui doit bientôt épouser la belle et douce Mlle de Puygarrig. Le jour du mariage, Alphonse glisse l'alliance au doigt de la statue : elle le gêne pour faire sa partie de jeu de paume. Grave erreur ! Impossible ensuite de retirer la bague du doigt... comme si la Vénus avait décidé que c'était à elle qu'Alphonse devait s'unir !..

Mon avis :

Un fantastique savamment dosé, qui oscille constamment entre faits authentiques et événements étranges, laissant le lecteur dans l'incertitude de ce qui s'est réellement passé. Tout commence avec la description de la statue, que M. de Peyrehorade présente avec grande fierté : une Vénus d'une beauté "incroyable", "merveilleuse" mais également inquiétante avec son "air méchant" et qui affiche sur son visage "quelque chose de féroce"... Une Vénus si expressive qu'on se demande si elle n'est pas faite de chair plutôt que de bronze !

 

D'autres événements amènent à penser que la statue est vivante... mais sans qu'on n'en ait jamais la preuve, puisque le récit adopte le point de vue interne du narrateur qui n'est pas toujours présent au moment des faits : par exemple lorsque que des voyous lancent une pierre sur la statue qui leur revient en pleine figure... Ou quand Alphonse raconte qu'il ne peut retirer la bague parce que "le doigt de la Vénus est retiré, reployé ; elle serre la main". Ou encore lors de l'atroce nuit de noces... Le marié a-t-il été victime d'hallucinations à cause de l'alcool ? Mlle de Puygarrig est-elle folle ? La statue a-t-elle réellement pris vie ?? La statue est présentée comme "diabolique" et fascinante à la fois : "Il y a deux Vénus ici...", dit M. de Peyrehorade, la noire (la Vénus de bronze, mauvaise) et la blanche (la pure, la mariée), "Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu préfères"... En voilà un qui a bien senti l'attirance ambiguë d'Alphonse ! 

 

Il plane donc dans cette histoire comme une atmosphère de malédiction, on pressent que la fin sera terrible et elle l'est ! Avec un mystère qui reste entier même si c'est la théorie de l'étrange qu'on a envie de conserver. Ceux qui sauront faire une lecture plus fine apprécieront aussi l'humour qui transparaît à travers le personnage de Peyrehorade, petit antiquaire provincial complexé qui cherche à rivaliser avec le Parisien (le narrateur) à grand renfort de pseudo références et étymologies latines. Tout le passage relatant la journée de mariage semble un peu (trop) long, mais l'écriture dans son ensemble est facile d'accès et l'intrigue riche d'un suspens crescendo.

Patricia Deschamps, novembre 2014

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