La pyramide des besoins humains

roman de Caroline SOLE

Si, un jour, la célébrité vous tombe dessus comme la fiente d'un pigeon sur la tête, ne perdez pas de temps à vous pavaner derrière des lunettes de soleil : fuyez.

L'Ecole des loisirs, 2015, 124 p. (Médium)
L'Ecole des loisirs, 2015, 124 p. (Médium)

Christopher n'en peut plus des coups de son père. Un jour, il fugue jusqu'à Londres et squatte avec son carton et son duvet un coin de trottoir.

 

Sur la devanture d'une boutique d'informatique, il remarque une affiche pour un nouveau jeu de télé-réalité : « la pyramide des besoins humains », inspiré du classement des besoins des êtres humains en cinq catégories par le psychologue Maslow.

 

Sans bien savoir ce qu'il fait, Christopher s'inscrit sous un pseudonyme. Contre toute attente, le public vote pour lui et Christopher se retrouve en finale. Mais a-t-il envie de révéler au monde son identité ?

Mon avis :

La pyramide des besoins humains selon le psychologue Abraham Maslow (1943)
La pyramide des besoins humains selon le psychologue Abraham Maslow (1943)

La télé-réalité prise à contre-pied par un petit SDF anonyme.

Voilà un roman atypique, à l'image de son jeune héros. "Candidat déviant", c'est par bribes que Christopher, 15 ans, livre les raisons de sa fugue (son père le battait, sa mère ne disait rien, il n'aimait pas l'école), entre deux descriptions de son quotidien de sans-abri. D'emblée le personnage touche par son mélange de fragilité et de détermination. Il avoue avec pudeur que certains moments de son ancienne vie lui manquent (notamment avec son petit frère), tout en sachant inconcevable de revenir en arrière (il était vraiment malheureux) : on peut se débarrasser de son ancienne vie mais "pas si facilement de ses souvenirs". Alors il reste sur son trottoir avec son vieux carton et son duvet crasseux, survivant aux côtés de ses nouveaux amis, Jimmy le vendeur de hot-dogs, Suzie la prostituée ou encore Scratch-Scratch le drogué, aussi malmenés par la vie que lui.

 

Pourquoi Christopher s'inscrit-il au jeu ? Par désœuvrement, par provocation ? "Joue ta vie" : il n'a rien à perdre. Et qu'aurait-il à gagner ?  "Comme si je pouvais échanger mon destin"... Mais contre toute attente, cet anonyme "fissure la pyramide", gagne le cœur des votants avec ses photos de rue sordides. Une popularité fulgurante qui le fait bien rire car "en vrai personne ne s'arrête pour nous parler", "Il y a tellement de choses que j'aimerais hurler et personne pour l'entendre parce que tous ces commentaires anonymes, ça vaut zéro". Et puis sur des murs virtuels, on peut faire croire ce que l'on veut, affirmer que ses besoins sont comblés alors qu'en réalité on crève de faim et de froid, on manque d'un toit comme d'amour : "Mon pseudo escalade la pyramide mais je suis toujours dans le caniveau". Alors Christopher la mascotte joue à fond l'ironie : "Je prouverai au monde entier qu'on peut manquer de tout et franchir quand même les niveaux sans crever". Symbole d'une révolte, celle des laissés-pour-compte, l'adolescent parvient en finale en ayant manipulé les règles, les participants... et les organisateurs !

 

Mais une fois l'objectif atteint, Christopher prend toute la mesure de la situation : vaut-il mieux être "mendiant ou pantin" ? Maintenant que la pyramide est escaladée, il est temps qu'elle s'effondre ! Et puis son séjour à Chinatown a fait réaliser au jeune garçon que la vie moderne était trop aliénante pour lui : regardez tous ces passants qui "courent, s'époumonent, achètent un nombre incroyable de choses, ils me paraissent plus perturbés que nous... On partage le même trottoir, mais un fossé nous sépare. Pourtant, j'ai l'impression qu'on vit de la même façon. Ou plutôt, qu'on fuit la vie de la même façon." Christopher revendique une vie plus près de la nature ("en ville, la pollution masque les étoiles"), avec son frère il aimait camper, jouer les aventuriers, ou encore au cow-boy - c'est d'ailleurs ce qui l'a aidé à tenir le coup : "l'espace d'une seconde, je me crois dans un western".

 

C'est dans cet état d'esprit plein d'espérance qu'on le quittera ("La liberté m'appelle"), après une lecture un peu dérangeante, qui bouscule nos certitudes et nous encourage à un peu plus... d'authenticité.

Patricia Deschamps, août 2017


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