La petite communiste qui ne souriait jamais

roman de Lola LAFON

Actes Sud, 2014, 317 p.
Actes Sud, 2014, 317 p.

J.O. de Montréal, 1976.

Pour la première fois de l'histoire, une petite gymnaste obtient la note parfaite de 10 sur 10. Il s'agit de Nadia Comaneci, une jeune Roumaine de 14 ans dont le corps, à la fois mince et musclé, et surtout la détermination dans ses figures audacieuses, relèguent les championnes russes au rang d'amateures. Juges, journalistes et spectateurs sont tous fascinés par la petite gymnaste si sérieuse.

 

Lola Lafon remonte alors le temps pour nous raconter comment tout a commencé pour Nadia, depuis la création de l'école de gymnastique à Onesti par son entraîneur Béla en 1969, en passant par le terrible programme qu'il faisait subir à ses petites protégées. Et puis rapidement, l'incroyable réussite de la petite Roumaine est accaparée par le parti communiste qui dirige le pays, alors sous le règne despotique de Nicolae Ceausescu.

 

Mais l'auteur évoque aussi comment l'aventure a fini par tourner au cauchemar pour Nadia le jour où la puberté l'a rattrapée, brisant son image d'enfant prodige... et comment le régime communiste a fait d'elle une prisonnière dans son propre pays.

Mon avis :

Une biographie captivante, bien qu'inégale entre sa première et sa deuxième partie. Le roman débute sur l'exploit de Nadia aux JO de Montréal et d'emblée on est captivé par cette petite fille impressionnante de détermination malgré la dureté de la vie qu'elle mène. L'auteur intercale à son récit des extraits de ses échanges (par téléphone et mail) avec la championne, qui maintient volontairement beaucoup de zones d'ombre autour de ses actes et de ses opinions. Nadia rejette notamment cette vision un peu pitoyable de la "pauvre gamine" qui passe ses journées entières à s'entraîner au lieu de s'amuser, et pourtant la douleur des blessures mal soignées et la faim qui réveille la nuit font son quotidien. La gymnaste proteste également lorsqu'on la dit soumise au parti communiste qui a utilisé son austérité victorieuse pour défendre ses propres valeurs face à "l'étalage de superflu" du capitalisme de l'Ouest. Pourquoi alors a-t-elle eu une relation visiblement peu épanouissante avec le fils de Ceausescu ? Pourquoi écrivait-on chacun de ses discours dans l'esprit du parti ? Pourquoi n'avait-elle pas l'autorisation de quitter le pays ?

 

Autant de "piques" auxquelles Nadia réplique en déclarant que "tous les sportifs qui gagnent sont des symboles politiques", que les champions actuels sont eux-mêmes à la solde de sponsors plus ou moins tyranniques, et surtout que "ce système tellement décrié de dressage de gymnastique communiste, l'Ouest l'avait reproduit dès qu'il avait pu mettre la main sur ses secrets de fabrications"... Bien vu, Nadia !

 

Mais ce qui m'a le plus marquée dans ce livre, c'est le rejet dont est victime la gymnaste à partir du moment où les transformations dues à la puberté gagnent son corps... "Grosses vache", "tank", "monstre", son entraîneur est le premier à lui reprocher - et avec quelle violence ! - un changement de silhouette dont elle ne peut aucunement être tenue pour responsable. De même, les juges, les journalistes, les spectateurs, tous vont la dénigrer malgré ses efforts pour rester à son niveau, regrettant avec nostalgie la fillette aux rubans qui les avait tant fascinés. Dès lors Nadia sombrera petit à petit dans la déchéance, jusqu'à ce qu'elle décide de s'enfuir aux Etats-Unis.

 

La deuxième partie, essentiellement centrée sur Ceausescu et le communisme en Roumanie ainsi que sur le séjour de l'auteur dans le pays, n'apporte pas grand chose de nouveau sur la gymnaste, et semble un peu superflue. L'ensemble offre néanmoins une biographie qui se veut objective à défaut d'être complète, avec un éclairage historique clair, surtout pour les générations (comme la mienne) trop jeunes pour avoir connu ces événements. Un livre qui donne envie d'en savoir encore plus est un livre réussi !

Patricia Deschamps

Mai 2014


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