La dernière reine d'Ayiti

roman d'Elise FONTENAILLE

Rouergue, 2016, 99 p. (doAdo)
Rouergue, 2016, 99 p. (doAdo)

 

En 1492 sur l'île d'Ayiti, dans les Caraïbes.

Le peuple des Taïnos, dirigé par la reine Anacaona, vit paisiblement dans un environnement paradisiaque.

 

Mais voilà qu'un jour, ils aperçoivent de "hautes voiles blanches sur la mer" : ce sont des navires espagnols avec à leur bord Christophe et son frère Bartolomé Colomb, ainsi que leur équipage.

 

En peuple pacifique, les Taïnos reçoivent les conquistadores comme leurs invités. Mais ceux-ci ne tardent pas à dévoiler leurs véritables intentions : asservir les Taïnos pour récupérer leur or...

Mon avis :

Comme dans La cité des filles-choisies, Elise Fontenaille évoque une période historique peu abordée dans la littérature jeunesse alors qu'elle est au programme de 5e : les Grandes Découvertes. Et elle fait surtout réaliser l'horreur des massacres perpétrés par ces explorateurs davantage avides de richesses que de connaissance du monde...

Le récit est raconté du point de vue de Guaracuya, le jeune neveu de la reine Anacaona, qui commence par évoquer la vie harmonieuse des Taïnos, entre tâches quotidiennes et rites ancestraux. A 15 ans, Guaracuya est prêt à recevoir l'initiation par les Zémis (les dieux) : "Tu as été choisi ! Tu auras un grand destin", lui prédit Anacaona. Mais quel destin ! Car voilà Colomb et les siens qui débarquent, apportant avec eux une violence, une bestialité que les Taïnos ignoraient jusque là. Rapidement, les Espagnols se comportent en envahisseurs, maltraitant les Indiens, les réduisant en esclavage, pillant leur or ("la seule chose qui les intéressait vraiment") et massacrant tout le monde sur leur passage... Mains tranchées, hommes froidement abattus, adolescentes violées, femmes enceintes éventrées : leur violence n'a pas de limite ! Tout est fait pour pousser les Taïnos à la révolte, et obtenir par-là même un nouveau prétexte de les exterminer... Mais "face à leurs fusils et à leurs canons crachant le feu, que pouvions-nous faire ?" Certains préféreront d'ailleurs se jeter à la mer plutôt que de subir de telles ignominies.

Le pire est certainement le personnage de Nicolas de Ovando, le prêtre chargé de convertir les autochtones au catholicisme : comment peut-on cautionner "ces tueries, ces atrocités commises au nom de Dieu" ? Comment peut-on prétendre que "les Indiens n'ont pas d'âme, ce n'est pas un péché de les massacrer" ?! On voit bien que la religion n'est aussi qu'un prétexte, qu'elle masque un ignoble appât du gain. Le témoignage de Guaracuya est à la fois émouvant et révoltant ("Qu'avions-nous fait pour qu'ils nous souhaitent morts jusqu'au dernier ?"), et l'on réalise peu à peu que ce dont sont responsables ces conquistadores s'appelle en réalité un génocide... "A l'arrivée des Conquistadores, nous étions plus d'un million" et il ne restera que quelques dizaines de survivants ! Et voilà bien la mission de Guaracuya: transmettre la mémoire de son peuple avant qu'il ne disparaisse complètement... Il s'y attellera avec les Africains issus du commerce triangulaire, victimes eux aussi de l'avidité européenne et qui ont des "croyances semblables" - de là naîtra d'ailleurs le vaudou.

Si le texte, riche en vocabulaire, n'est pas toujours facile d'accès pour un jeune lecteur, il aborde un aspect de l'Histoire essentiel et captivant, l'auteur ayant su faire renaître avec talent un peuple méconnu bien que fascinant. Et comme elle, nous ne verrons plus Christophe Colomb "le grand découvreur de l'Amérique" de la même manière...

Patricia Deschamps, février 2017

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