La dame du manoir de Wildfell Hall

roman d'Anne BRONTË (1848)

Archipoche, 2012, 563 p.
Archipoche, 2012, 563 p.

L'arrivée de Mrs Helen Graham, la nouvelle locataire du manoir de Wildfell, bouleverse la vie de Gilbert Markham, jeune cultivateur.

Qui est cette mystérieuse artiste, qui se dit veuve et vit seule avec son petit garçon? Quel lourd secret cache-t-elle? Sa venue alimente les rumeurs des villageois et ne laisse pas Gilbert insensible. Cependant, la famille de ce dernier désapprouve leur rapprochement et lui-même commence à douter de Mrs Graham... Quel drame s'obstine-t-elle à lui cacher ? Et pourquoi son voisin, Frederick Lawrence, veille-t-il si jalousement sur elle ?

Mon avis :

Anne est la moins connue des trois sœurs Brontë, c'est ce qui fait que je découvre ce roman seulement maintenant. Et en même temps il y a comme une synchronicité: la situation d'Helen ne m'aurait pas autant parlé, je ne me serais pas autant projetée si je l'avais lu plus tôt.

 

Je ne sais pas si la traduction a été révisée mais j'ai trouvé l'écriture étonnamment moderne, c'est à peine si l'on ressent le style XIXe siècle. Quant aux propos tenus par l'héroïne, ils sont extrêmement féministes pour l'époque! Mrs Graham casse les codes sociaux: elle vit seule (je veux dire: sans homme), s'assume financièrement (en vendant les tableaux qu'elle peint), ne cherche pas à sociabiliser (elle a donc un caractère indépendant), semble "peu au fait de la base de ce que toute femme qui se respecte devrait savoir" (autrement dit: comment se comporter en bonne ménagère) et élève son fils en dehors de tout cliché.

 

L'éducation qu'elle lui donne est la première occasion qu'a Helen Graham d'exposer ses convictions. "Vous le traitez comme une fille, vous amollissez son esprit et en ferez une poupée de salon", lui reproche-t-on. Or l'héroïne ne voit pas pourquoi on éduquerait différemment les fillettes et les garçons. On apprendra plus tard que "son père et les amis de son père prenaient grand plaisir à "en faire un homme"", c'est-à-dire à l'initier à l'alcool, la vulgarité et la chasse (super).

 

On en apprendra davantage quand le récit passe du point de vue de Gilbert Markham, tombé sous le charme d'Helen et désireux de comprendre quel secret la pousse à refuser ses avances bien qu'il lui plaise, à celui de la jeune femme qui lui prête son journal intime. J'ai trouvé ce passage un peu long, surtout quand elle décrit avec force détails la vie avec son mari. A la différence d'Arthur qui attend de son épouse de "le servir, l'amuser, le réconforter", Helen défend une conception moderne du mariage, basée sur le respect et la liberté (elle a le sentiment d'être sa prisonnière).

 

Arthur, lui, aime "courir le monde pour se distraire"... avec toutes les dérives qui y sont liées. C'est ce qui fait dire à Helen à la jeune Esther: "Choisis bien ton mari... peut-être même vaudrait-il mieux que tu restes célibataire"!.. Des propos qui ont dû choquer le lectorat de l'époque!

 

Ainsi, l'héroïne n'hésite pas à dire ce qu'elle pense au-delà des conventions sociales. N'ayant que faire de l'opinion de ses voisins et des rumeurs qu'ils font circuler, elle trace courageusement son chemin vers "le bonheur qu'elle mérite" et qu'elle trouvera. J'ai beaucoup aimé la métaphore qu'elle utilise en guise de conclusion pour se désigner, elle qui a été à la fois malmenée et rendue forte par son parcours: "La rose de Noël n'est pas aussi parfumée qu'une rose d'été, mais elle a vaincu des frimas qu'aucune fleur du soleil ne pourrait supporter". N'est-ce pas ce qui la rend si belle?

Patricia Deschamps, juillet 2025

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