Les gosses ne font que parler de ce qu'ils éprouvent lorsqu'ils sont défoncés. Ils ne parlent jamais de ce qu'ils veulent dans la vie, ni de leur famille ni de ce qu'ils aiment, seulement de ceux qui fourguent, et combien ils pourront payer l'année prochaine et qui pourra fournir. (p.87)
La narratrice a quinze ans lorsqu'elle découvre la drogue à son insu lors d'une fête.
Elle vient de déménager, a du mal à s'intégrer. Le coca drogué au LSD font s'envoler complexes et inhibitions. Alors pour faire comme les autres, elle continue. Tentera d'arrêter. Mais l'engrenage est enclenché...
Mon avis :
D'abord publié anonymement (en 1971), ce livre a depuis été attribué à la romancière américaine Beatrice Sparks qui a reconnu en être l'autrice. Elle expliquait dans une interview que le livre se composait en partie du journal intime d'une de ses patientes mais également d'événements fictifs inspirés par son travail avec d'autres adolescents en difficulté. Le but était de "mettre en garde la jeunesse" (source: Wikipedia).
En trouvant ce livre dans mon CDI, je me suis demandé s'il était toujours d'actualité et si cela valait la peine d'en acheter une édition plus récente. C'est le cas! Le texte a assez peu vieilli. Les préoccupations de la narratrice sont les mêmes que celles des adolescentes d'aujourd'hui: les copines, les garçons, les cours, la famille...
Comme beaucoup, c'est une adolescente mal dans sa peau, d'autant plus depuis qu'elle a intégré un nouveau lycée où elle ne connaît personne. Alors quand sa nouvelle copine l'emmène à une fête, elle a à cœur de faire comme les autres. Certes, la première fois, elle est droguée à son insu, mais elle n'aura aucune hésitation à suivre la consommation de petits comprimés de son amie Chris, alternant excitants et tranquillisants.
Les effets de la drogue (sensations, hallucinations) sont bien expliqués. Avec le hasch, "je n'ai jamais été aussi détendue de ma vie", "toutes mes inhibitions disparaissaient". Elle se sent libérée et son enthousiasme la rend populaire, ce qui renforce l'idée que la drogue lui fait du bien. Mais par la suite, le ressenti ressemblera davantage à un bad trip...
L'adolescente passe un premier cap lorsqu'elle se fait dealeuse afin d'aider son petit ami fournisseur, Richie ("On n'a pas de fric"). Puis vient le temps des remords ("Quelle personne faible et méprisable je suis devenue"), qui ne va cesser d'alterner avec les rechutes et les fugues. Elle atteint le fond avec les premiers abus sexuels ("Ces enfants de salauds nous avaient vidées") et la prostitution ("Toute la saloperie qui marche de pair avec la drogue" parce qu'elles sont "jeunes et fraîches" dans un milieu de vieux riches).
Bientôt tout ne tourne plus qu'autour de la drogue, où et comment se fournir. Malgré le soutien de sa famille, la narratrice continue sa descente aux enfers à cause de l'accoutumance ("Nous n'avons plus d'herbe, plus de fric, et nous avons faim."). Elle alterne les périodes de lucidité ("Je ne comprends pas comment j'ai pu me comporter si mal alors que j'avais une si bonne famille. La pauvre Doris n'a jamais rien connu que de la merde depuis l'âge de dix ans.") et de manque. Et puis chaque fois qu'elle prend de bonnes résolutions ("marcher droit"), sa réputation de "camée" la rattrape ("Pourquoi me harcèlent-ils comme ça?").
Lorsque l'adolescente se retrouve à l'hôpital, le récit devient alarmant: que s'est-il passé? Qu'est-ce qui l'a mise dans un tel état ("Je me sens si seule, perdue, terrifiée")? La fin du journal nous laisse sur une jeune fille qui semble avoir gagné en maturité ("Lorsqu'une personne devient plus âgée elle doit pouvoir discuter de ses problèmes et de ses pensées avec d'autres personnes, au lieu de parler à une partie d'elle-même comme toi"). Du coup l'épilogue surprend... C'est là que l'on voit le côté moralisateur du livre.
Prochaine étape: relire "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée" qui a marqué mon adolescence!
Patricia Deschamps, janvier 2025