L'empire des femmes

de Cassandre LAMBERT

1. Sapientia

Didier jeunesse, 2022, 336 p.
Didier jeunesse, 2022, 336 p.

Au royaume de Sapientia, les femmes règnent et les hommes ne sont que des esclaves à leur service. Chaque année, les jeunes filles riches choisissent leur géniteur parmi les vainqueurs d’un tournoi sanglant de gladiateurs.

Adona est la fille de la grande organisatrice de l’évènement. Peu encline à la violence de l’arène, elle n’a pas hâte de participer aux enchères. Elle doit pourtant trouver son candidat. Car devenir mère pourrait bien lui permettre de protéger son frère jumeau… 

De son côté, Elios s'entraîne depuis des années afin de faire partie des sélectionnés du tournoi. Mais son but ultime n'est pas de finir géniteur et homme de compagnie...

Mon avis :

Voilà une dystopie telle que je les aime, avec de bonnes idées, des personnages bien campés et un univers que l'on peine à quitter!

Nous sommes sous l'Antiquité romaine, à la cité d'Espérale qui est entièrement dirigée par les femmes. L'autrice joue sur les stéréotypes mais en inversant les rôles: ce sont les hommes qui constituent le sexe inférieur, d'ailleurs la plupart vivent exilés sur l'île décharge de Ténéros ("La place d'un homme n'est pas dans l'Acropole").

 

Les seuls qui soient autorisés à Sapientia ("le pays de paix") sont les Géniteurs ("là pour deux raisons: obéir et engendrer") et les Oncles. Un géniteur finit en homme de compagnie (esclave de ces dames, donc) ou bien dans les mines où il peut espérer devenir contremaître. Le conseil des Oncles est "le seul moyen pour les hommes de s'élever dans la société". C'est l'objectif d'Adonis, le frère jumeau de l'héroïne, Adona. Il est exceptionnel qu'un garçon soit gardé auprès de sa mère. Mais Adona n'a pas n'importe quelle mère: elle est la fille d'Eudoxie Kanatos, la femme la plus riche et la plus influente de la cité.

 

J'ai beaucoup aimé cette inversion des rôles: pour une fois, ce sont les femmes qui sont en position de force. Il est néanmoins dommage que leur préoccupation première reste l'enfantement... Avoir autant de pouvoir, de possibilités de s'épanouir et continuer malgré tout à s'enfermer dans le seul rôle de mère, c'est bien désolant!

C'est peut-être bien ce que pense également Adona... En tout cas, à dix-huit ans à peine, elle ne se sent pas prête à s'inscrire au Registre de la Procréation. La façon dont est (mal)traité son frère la révolte également.

 

Quant à Elios, qui a réussi avec son ami Nikolaos à passer les sélections pour le Tournoi de la Procréation, il fomente un plan pour renverser le système, mais lequel? Le jeune homme est prêt à tout mais on se doute que les sentiments vont s'en mêler.

J'ai trouvé judicieuse l'apparition du personnage de Calypso la Parjurée, "tristement célèbre pour sa liaison enflammée avec un de ses hommes de compagnie": on est bien d'accord que ce matriarcat fictif conduit aux mêmes dérives qu'à l'actuel patriarcat de nos sociétés alors que le but idéal est que chacun·e vive libre et épanoui·e.

Nul doute que Elios saura, dans le second tome, rallier Adona à sa cause!

 

Patricia Deschamps, octobre 2025


2. Teneros

Les grands changements se nourrissent de petites actions.

Adona et Elios échouent sur Teneros, l’île des hommes.

Prisonnière de ce territoire, Adona découvre qu’elle est la pièce maîtresse d’un plan pour mettre fin à la domination des femmes. De son côté, Elios retrouve enfin les siens : la libération des hommes va pouvoir commencer !

Mais la révolution peut-elle se mettre en marche sans déclencher de guerre ?

Mon avis :

Ce second tome est celui du grand changement: les personnages sont bousculés dans leurs représentations, comme on devrait tous­·toutes l'être à un moment ou un autre de notre vie. Pression familiale, pression sociale: nous sommes tous·toutes "des hommes et des femmes conditionnés depuis l'enfance". Il s'agit ici d'une "haine séculaire, de préjugés et de méfiance réciproque ancrés au plus profond des êtres".

 

Tandis que sur l'île de Teneros, Elios s'efforce de changer le regard d'Adona sur les hommes, Cyrène, enceinte de son Géniteur Nikolaos, commence à l'envisager comme père. Le revirement de personnalité de la jeune femme est moyennement crédible mais nécessaire à l'intrigue: chacune, de son côté, réalise un cheminement personnel menant au "renversement". Adona comprend que tous les hommes ne sont pas des brutes sanguinaires (même s'il en existe, tel le répugnant Mestor et ses sbires). De son côté, Cyrène mesure l'ampleur des règles d'Eudoxie Kanatos, qu'elle admirait tant autrefois: les couples brisés, les familles éclatées, les hommes avilis... tout cet amour et ce bonheur refoulés, interdits au nom de la loi de Sapientia.

 

La taciturne Calypso sortira enfin de l'ombre pour défendre la cause des banni·es aux côtés d'Adonna et Markus alias le Vieux. Bien évidemment, rien ne se passe comme prévu... Adonis est le plus décevant: "complètement corrompu" par sa mère dont il fait les quatre volontés, sa sœur se désole qu'il ne saisisse pas cette opportunité de prendre son destin en main.

 

Ce diptyque m'aura tenue en haleine jusqu'au bout, ne tombant jamais dans la facilité et les clichés. La société que veulent les protagonistes n'est ni un matriarcat ni un patriarcat (également nocif pour les hommes avec ses modèles de "virilité poussée à l'extrême"): simplement une société plus juste et égalitaire dans laquelle chacun·e puisse trouver sa place, quel que soit son genre.

 

Patricia Deschamps, octobre 2025


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