Interfeel

roman d'Antonin ATGER

Pocket jeunesse, 2018, 496 p.
Pocket jeunesse, 2018, 496 p.

Dans un futur proche, Interfeel est un nouveau réseau social permettant de partager ses émotions. Il n'est désormais plus possible de mentir ou de cacher ce que l'on ressent.

 

Nathan, 16 ans, a grandi avec Interfeel, et connaître les émotions de ses amis lui semble tout aussi naturel que de respirer.

 

Mais un événement tragique va se produire sous ses yeux et bouleverser ses certitudes. Qu'est-ce vraiment qu'Interfeel ? Quel secret se cache derrière ce système que le monde entier utilise ?

Mon avis :

Dans un monde où l'on ne peut plus cacher aux autres les émotions que l'on ressent, un groupe d'adolescents entre en "résistance" afin de retrouver l'intimité et le contrôle de leurs sentiments.

Dans le monde de Nathan, Interfeel, le réseau de partage des émotions, est devenu "le sixième sens de l'humanité": comme on capte les émotions des personnes que l'on croise grâce à une puce qui se glisse dans l'oreille, il est facile de deviner leurs pensées. Et mentir est devenu presque impossible! Les avantages? Les gens se comprennent mieux, il y a moins d'agressions. Mais Interfeel ne serait-il pas "une servitude volontaire"? On camoufle les émotions négatives (la tristesse, l'angoisse, la jalousie, la haine...) pour donner une bonne image de soi ("Vous vous conditionnez pour n'avoir que des émotions qui vous mettent en valeur"). On les contrebalance artificiellement avec des sensations de bien-être produites par son Opale personnelle, ce petit caillou numérique qui ne quitte jamais les connectés. Ceux-ci n'auraient-ils pas perdu leur authenticité? Certains (comme le professeur de philosophie Claude Erat) considèrent même que le réseau Interfeel, en bloquant les vraies émotions, prive les gens de leur libre-arbitre: "Vous ne ressentez plus de colère à l'égard du système. Plus question de se rebeller".

 

J'ai beaucoup aimé le personnage de Vlad Ekaton, le commissaire adjoint manipulateur d'émotions ("Je peux glisser des émotions dans l'esprit des gens") qui a développé un pouvoir de persuasion (de "duel mental") impressionnant et dévastateur chez les cyristes (les cyber-terroristes). J'ai trouvé intéressante l'idée que, débarrassés d'Interfeel, les protagonistes commencent à mettre des mots sur ce qu'ils ressentent, à analyser leurs émotions au lieu de les subir, et qu'ils en découvrent de nouvelles, autrefois étouffées par le réseau.

 

Ainsi il y a de bonnes idées dans ce roman et pourtant je n'ai pas réussi à accrocher. Essentiellement à cause de l'écriture, je pense, un peu plate, trop linéaire, trop transparente. L'auteur passe beaucoup de temps à décrire son univers futuriste avec tous ses nouveaux gadgets. Les personnages ont chacun des caractéristiques qui leur sont propres mais tout est trop expliqué alors qu'il est plus efficace de laisser les lecteurs découvrir celles-ci à travers leurs actes. Du coup j'ai trouvé que, à part Elizabeth et peut-être Haneck, les amis de Nathan manquaient un peu de consistance. Par ailleurs le discours sur Interfeel n'est pas très clair et ne donne pas vraiment l'impression que la vie est plus heureuse sans. Par exemple, au début du livre, il est dit que "les gens parlaient beaucoup moins depuis Interfeel", car les émotions sont directement transmises par la puce. Mais quand les jeunes se retrouvent déconnectés, "ils se parlent peu entre eux" et "leurs réponses restent évasives", ce qui n'est pas mieux! Au moins avec le réseau on sait ce que ressentent les autres! De même, le quotidien des rebelles dans la décharge souterraine, rudimentaire et morne, comme à "l'ancien temps" (le nôtre), n'encourage pas la contestation.

Mon avis est donc mitigé pour ce roman (à suivre) qui ne se démarque guère de ce que j'ai pu lire auparavant dans le même genre. 

Patricia Deschamps, octobre 2019


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