Fahrenheit 451

roman de Ray BRADBURY

Né en 1920, Ray Bradbury s'impose à la fin des années 40 comme un écrivain majeur, avec la parution d'une série de nouvelles oniriques et mélancoliques, plus tard réunies sous le titre de Chroniques martiennes. Publié en 1953, Fahrenheit 451, qui finit d'asseoir la réputation mondiale de l'auteur, sera porté à l'écran par François Truffaut.

Source : noosfere.org

Peut-être les bouquins pourraient-ils nous sortir de ce trou noir, nous empêcher de refaire toujours les mêmes folies !

Gallimard, 2000, 224 p. (Folio SF)
Gallimard, 2000, 224 p. (Folio SF)

451 degrés Fahrenheit représentent la température à laquelle un livre s'enflamme et se consume.

Dans le futur, un monde en guerre interdit la lecture. La brigade 451 intervient dans les maisons pour brûler les livres : ces pompiers d'un nouveau genre ont pour mission de circonscrire les foyers subversifs alimentés par la littérature et la poésie.

 

Guy Montag partage avec ses collègues la même jubilation incendiaire débarrassée de tout questionnement. Jusqu'au soir où il rencontre Clarisse. En quelques jours, la jeune femme instille en lui le goût d'autre chose et le doute. Soudain, Montag ouvre les yeux : qui est vraiment Mildred, cette femme qu'il a épousée ? Quel est donc le sens de son métier ? À mesure qu'il remet en question le système, sa mission ne lui semble plus si bénéfique...

 

Texte : LiliGalipette pour Babelio

Mon avis :

Un roman pour se recentrer sur l'essentiel : "Regarde le monde".

"Etes-vous heureux ?", demande la mystérieuse Clarisse au héros. Voilà bien une question qui fait mouche dans ce monde aseptisé, uniforme, vide (mais que fait Guy Montag de son temps libre ?), où l'on n'éprouve plus de sentiments, où l'on se révèle incapable d'évoquer le moindre souvenir. J'ai trouvé cette première partie très étrange, avec des situations inexpliquées (qui est ce dictateur qui a instauré la mort des livres ? Quelle est cette guerre maintes fois évoquée et symbolisée par les bombardiers traversant le ciel ? Comment la société en est-elle arrivée là ?) et des dialogues à la limite de l'absurde façon Ionesco. En même temps, ce début plutôt confus reflète parfaitement l'état d'esprit du pompier, bouleversé dans sa vision des choses. Clarisse, perçue comme une adolescente bizarre parce que "je vais me promener, je marche dans les bois" etc. souligne en réalité "l'étrangeté du monde où nous vivons" : "Autrefois, les pompiers éteignaient les feux au lieu de les allumer". Dans ce quotidien où l'on s'abrutit avec les écrans (comme Mildred, l'épouse incolore de Montag), où l'on ne lit plus que des résumés de résumés ("Digests de digests"), où l'on "élimine toute perte de temps, toute démarche inutile à l'esprit", Clarisse se fait la messagère d'une société disparue ("Parfois je suis très vieille"), plus proche de la nature et dans laquelle on prenait le temps de réfléchir au lieu de se perdre dans l'immédiateté.

 

Sa prise de conscience rend Montag physiquement malade. Heureusement un certain Faber va lui servir de guide tout au long de sa remise en question : "Je ne parle pas des choses, je parle du sens des choses". Si Clarisse prônait un retour à la nature, Faber défend l'ouverture aux autres ("Je veux simplement quelqu'un pour écouter ce que j'ai à dire. Et si je parle assez longtemps, peut-être mes paroles auront-elles un sens."), l'ouverture sur le monde à laquelle les livres contribuent : "Les livres n'étaient qu'un moyen de recueillir, de conserver une masse de choses que nous craignons d'oublier. Il n'y a rien de magique en eux". La vraie magie, c'est ce que nous en tirons. Le livre, à la différence du "téléviseur qui vous dit de ce qu'il faut penser, vous le hurle à la figure", donne "le temps de penser". L'apport de la lecture se fait ainsi en trois temps : la qualité de la connaissance lue, le loisir de l'assimiler, les actes qui en découlent.

 

Et c'est dans la troisième et dernière partie que Montag passe à l'action, justement. Le rythme s'accélère, la tension monte, particulièrement avec l'inquiétant "limier Robot", bref, le protagoniste revient à la vie, la vraie, mettant en pratique les conseils donnés, dans "une angoisse mêlée de soulagement" car "ça devait arriver. Je le sentais depuis un bon moment. Tous mes actes étaient en contradiction avec mes pensées". Il (re)découvre la nature, "pleinement conscient de la présence du monde". Les relations humaines authentiques, également : le feu n'est plus ce qui détruit mais ce qui réunit les hommes autour de sa chaleur, et de ses cendres renaît l'espoir tel "le Phénix". Montag comprend pourquoi lire est devenu "un crime contre la société" : ce n'est pas tant l'objet qui est important, mais ce qui reste de lui en nous : la meilleure façon de conserver un livre, "c'est de l'intégrer à moi-même". N'est-ce pas ce que l'on fait à lire et relire indéfiniment ces classiques ? "Et un jour, quand les connaissances se seront décantées en nous, elles s'exprimeront par nos mains et nos bouches" :  n'est-ce pas le sens même de nos chroniques ?

Oui, dans ce livre comme dans tant d'autres, il y a "beaucoup à réfléchir, beaucoup à se rappeler"... Alors gardons "constamment les yeux grands ouverts sur le monde".

 

Patricia Deschamps, avril 2018


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