Dans le cœur d'Alice

roman de Luc BLANVILLAIN

La vie, ça s'invente. On n'est pas obligé de rester coincé dans des schémas débiles.

Hachette, 2013, 448 p.
Hachette, 2013, 448 p.

Depuis la mort de sa mère, Alice vit seule avec son père qui est écrivain et Hubert, le voisin fou qui débarque tout le temps chez eux à l'improviste. Alice n'a qu'un seul ami : Édouard, son complice depuis toujours.


Un jour, Alice se fait accoster par le beau Léopold. Pour Édouard, le jeune homme a réussi le test d'intégration à leur petit monde, mais Alice a d'autres projets : elle a entrepris de séduire Jonas, un étudiant en psycho qu'elle a rencontré un soir qu'elle partait à la recherche d'Hubert. Et peu importe si Jonas a déjà une copine, Julie : Alice a l'intention d'en faire sa meilleure amie !


Mais ce qui apparaissait comme un chouette scénario va entraîner Alice dans une situation quelque peu... "inextricable".

Mon avis :

Quel drôle de monde que celui d'Alice ! A commencer par Alice elle-même dont la façon de s'exprimer m'a captivée d'entrée de jeu : la jeune fille parle "utile", disant les choses sans chercher à y mettre les formes, avec une économie de mots visant à traduire sa pensée le plus justement possible. Ne s'encombrant pas de formules de politesse ni de délicatesse, elle a une utilisation très rationnelle du langage. Autrement dit elle s'exprime d'une manière très directe qui surprend souvent ses interlocuteurs, ou qui au contraire les séduit. Son ami Edouard fait de même et c'est ce qui fait qu'ils s'entendent si bien. Hubert aussi utilise un langage décalé, mais c'est parce qu'il n'a plus toute sa tête depuis qu'un événement familial l'a traumatisé étant enfant. Hubert a sa propre logique, et il faut y entrer pour pouvoir communiquer avec lui.

 

Ce qui surprend aussi chez Alice, c'est cette distance par rapport aux sentiments. Comme si elle réfléchissait davantage qu'elle ne ressentait. Seul le hoquet qui la trahit indique qu'elle éprouve des émotions qu'elle s'efforce d'étouffer. La mort de sa mère, plusieurs années auparavant, n'y est pas étrangère : depuis, l'adolescente vit repliée sur elle-même dans son petit monde constitué uniquement de son père, d'Edouard et d'Hubert, passant son temps libre à regarder des tumblr, ces images que les gens mettent en ligne pour évoquer leur univers intérieur. Alice est donc une introvertie, souvent distraite, qui passe en outre son temps à se demander quelle réaction les autres attendent d'elle, comme si elle devait rationaliser ses attitudes à défaut de les ressentir : "Que ferait une fille normale à sa place ?". Ou comme si la vie était un film dont elle s'évertuait à jouer le rôle principal.

 

D'ailleurs, sa première réaction lorsqu'elle élabore un plan pour piquer Jonas à Julie, est d'en parler à son père (un écrivain de renom) afin qu'il prenne des notes et lui donne son avis sur ce "scénario" ! Cette thématique revient tout au long du roman tel un leitmotiv : "La tirade qu'elle lui avait préparée", "J'avais prévu que", "Tu sabotes la fin de la pièce"... Comme si Alice jouait à faire plier la réalité (et les gens) dans le sens de son imagination en un impitoyable jeu de manipulation : "Elle me coache", dit-elle en parlant de Julie, "- Elle sait que c'est pour que tu lui piques son mec ?", rétorque Edouard... car le petit jeu d'Alice fait bien des dommages collatéraux ! Des conséquences que l'adolescente a du mal à tenir compte, et qui explique pourquoi elle n'arrive pas à rédiger sa dissertation de philo : "Suffit-il d'avoir bonne conscience pour agir moralement ?"...

 

Jonas a également des soucis avec sa conscience, il n'envisage pas "de quitter brutalement quelqu'un qui l'adore"... Le livre aborde ainsi plusieurs aspects de la vie amoureuse, comme l'importance de la confiance et la trahison que peut représenter le mensonge, et puis "ce quart de seconde", cette "réaction maladroite" qui peut tout bouleverser de manière irrémédiable...

Un roman qui aborde les relations amoureuses de manière philosophique, autour de personnages pittoresques !

Patricia Deschamps, janvier 2015

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