Aurélien Malte

de Jean-François CHABAS

Une épreuve, c'est encore une des meilleures façons de juger le caractère d'un homme. On ne révèle pas son vrai visage quand tout va bien autour de nous (...) C'est dans une situation horrible, face à une souffrance de longue durée, qu'on montre qui l'on est, à soi-même, et aux autres.

Le livre de poche jeunesse, 2014, 123 p.
Le livre de poche jeunesse, 2014, 123 p.

Aurélien Malte a 36 ans. Il est en prison depuis treize ans. Pour sa dernière année d’incarcération, il accepte de recevoir une visiteuse tous les quinze jours : Anne.

 

Les visites d’Anne vont bouleverser la vie d’Aurélien. Son goût pour l’art et les sentiments qu’elle lui inspire vont progressivement amener Aurélien à modifier sa vision du monde. Il décide de lui écrire des lettres révélant ses moindres réflexions, mais sans jamais oser les lui envoyer.

 

Aurélien y raconte la dure vie de prisonnier - dans ce monde à part où la promiscuité et l’enfermement constant déclenchent d’impressionnants accès de violence. Ces lettres aux allures de journal intime sont aussi l’occasion pour Aurélien de se replonger dans son passé, de réfléchir à l’enchaînement d’événements qui l’a amené jusqu’ici, et surtout à la vie qu’il envisage de mener à sa sortie de prison.

Texte : Takalirsa, janvier 2005

Mon avis :

La confession pudique d'un homme en souffrance.

"Je dois vous écrire. J'en ai besoin." Parce que sa sortie de prison s'approche, Aurélien entame un travail sur lui-même afin de l'affronter au mieux. Il commence par évoquer sa profonde solitude au milieu des "junkies, brutes débiles, pervers" et autres "désespérés", à commencer par son compagnon de cellule Franck, "un gosse qui serait mieux en hôpital psychiatrique" car "il est en train de perdre la tête à cause de ses cachets"... Il raconte sans tabou ce "mélange de haine et de trouille et de rage démente" qui est le quotidien de la prison où "les haines sont compressées, comprimées, tendues comme des ressorts", où il faut user de ses poings pour faire sa place (au moins se faire oublier) sans céder à la violence ambiante. Ici, "on ne peut pas se permettre d'être faible", "pas mal de gens seraient assez contents de me faire la peau". "Tout pourrit avec le temps", "on ne se contente pas d'être enfermé physiquement, on s'enferme mentalement".

Alors pour Aurélien, les visites d'Anne sont une véritable bouffée d'air frais ! "Vous me faites réfléchir", "vous mettez en avant ce que j'ai de meilleur". Cela commence avec la découverte des livres d'art, "une grande consolation" dans cet environnement sombre (au sens propre comme au figuré !) : les tableaux lui rappellent que par certains aspects, le monde est beau. Tout dépend de ce que l'on en fait. Alors Aurélien fait "du chemin dans ma tête", revenant sur son enfance, notamment avec son grand-père, dans la montagne. De bons souvenirs, qui amènent le retour des rêves, "ceux dont on se souvient". Avec Anne et "ce que vous remuez en moi", le prisonnier revient progressivement à la vie.

Pour autant la démarche est difficile, faisant aussi remonter les traumatismes, la mort choquante de Grand-père, l'accident de son père qu'il a à peine connu, la faiblesse de sa mère, la personnalité cachée de Patrick le beau-père. Souvent proche d'abandonner, Aurélien lutte contre le désespoir ("très gros coup de cafard", "ce sont les derniers mois les plus durs"), s'accrochant à "mon ange" : "Les anges, ils nous aident à porter nos fardeaux, nos souffrances et nos peurs". Il ne cherche pas d'excuse à son acte (même s'il a des circonstances atténuantes), cependant on sent que la démarche ne pourra être complète qu'avec cet ultime récit. Ce que souhaite avant tout Aurélien, c'est ne pas gâcher cette seconde chance... or "la liberté me terrifie parce que le monde extérieur m'est devenu tout à fait étranger". Et surtout, il s'est attaché à Anne... est-ce réciproque ? "Vous êtes probablement plus importante pour moi que je ne le suis pour vous"...

On pourrait trouver dommage qu'Aurélien ne transmette aucune de ses lettres. Mais en réalité, l'écriture finit par libérer, un peu, la parole : "C'était la première fois que, de vive voix, je vous parlais de la montagne de Grand-père". Bien qu'il soit peu loquace durant les entrevues, Anne perçoit la fragilité du mastodonte, sa curiosité d'esprit, sa capacité à changer dans un environnement plus propice que celui qu'il a connu et qui l'a mené en prison. Aurélien a peur de perdre Anne en sortant, mais l'on sent bien que des liens se sont tissés entre ces deux-là et que des projets communs sont envisageables. Oui, la rédemption existe car "toutes les passions, toutes les choses menées à fond méritent l'attention". Et surtout, ce retour sur soi aura permis à Aurélien de retrouver sa dignité : "la seule chose qui compte vraiment c'est de s'estimer, soi". Dès lors, tout devient possible.

Patricia Deschamps, février 2017

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