Au revoir là-haut

Pierre LEMAITRE

♦ Roman adulte

Si même les survivants n'ont plus d'autre ambition que de mourir, quel gâchis.

Le livre de poche, 2015, 624 p.
Le livre de poche, 2015, 624 p.

Novembre 1918, à quelques jours de l'armistice. Albert Maillard se retrouve pris au piège dans un trou d'obus et probablement condamné à mourir enterré vivant. Témoin de l'incident, son lieutenant, Henry d'Aulnay-Pradelle, n'intervient pas. Heureusement un compagnon d'armes, Edouard Péricourt, le ramène à la vie malgré une grave blessure à la jambe. Les deux hommes se retrouvent ainsi liés. 

 

Si Albert se sort plutôt bien de cette ultime bataille, Edouard se retrouve boiteux et... défiguré à cause du fameux obus. Pour lui, hors de question de rentrer chez lui : il se sent incapable d'affronter le regard de son père. Edouard convainc alors Albert, qui se sent redevable, de le faire porter disparu. Une escroquerie dangereuse qui pourrait leur coûter gros, d'autant plus que le sinistre Pradelle rôde...

 

Mon avis :

bande annonce du film de Albert Dupontel (2017)
bande annonce du film de Albert Dupontel (2017)

C'est parce qu'il a fait l'objet d'une adaptation filmique, qu'il évoque l'après-guerre (j'ai déjà beaucoup lu sur le conflit en lui-même) et parce que j'ai beaucoup aimé Trois jours et une vie du même auteur, que j'ai eu envie de lire ce roman.

On y réalise que si avoir survécu aux combats pendant quatre ans "tenait fondamentalement du miracle", le calvaire des soldats ne s'arrête pas à la signature de l'armistice. Pour Albert, ce sont de longs mois au Centre de démobilisation dans l'attente de revenir à la vie civile. Puis les petits boulots minables, et la vie de misère qui va avec : "Il avait ce visage découragé, fatigué, qu'on voyait à beaucoup de démobilisés, quelque chose de défait et de résigné". Le pays est ruiné, se remet douloureusement : "L'Allemagne allait rembourser intégralement tout ce qu'elle avait cassé pendant la guerre, à peu près la moitié du pays. En attendant, le coût de la vie ne cessait d'augmenter, les pensions n'étaient pas encore payées, les primes pas versées, les transports chaotiques, les approvisionnements imprévisibles, et donc on trafiquait, beaucoup de gens vivaient d'expédients".

 

Le trafic qui intéresse Albert, c'est la morphine. Pour son camarade Edouard, Gueule Cassée qui souffre le martyre. Depuis que celui-ci l'a sauvé d'une mort certaine, il s'est créé une proximité entre les deux hommes ("les soins paternels que le premier administrait au second, la dépendance d'Edouard, son malheur profond, sa détresse qu'Albert, avec générosité, mauvaise conscience, maladresse, tentait d'endiguer"). Autant Albert est craintif ("il faisait pitié. C'était sa force parfois. Il n'avait pas besoin de forcer le trait pour avoir l'air minable."), autant Edouard va se faire de plus en plus déluré avec sa panoplie de masques (pour cacher son visage dévasté), autant de "trophées de chasse" ou de "déguisements dans un magasin de travestis". Edouard est celui qui ose, il est aussi très doué en dessin, et c'est de lui que viendra l'idée d'arnaque "monumentale" que les deux compères vont mettre en place.

 

Cependant le vrai "profiteur de guerre", la "crapule sans scrupules, d'une totale cupidité", c'est Pradelle. Car "le véritable danger pour le militaire, ce n'est pas l'ennemi, c'est la hiérarchie"... Promu capitaine (merci l'attaque de la cote 113), l'ex-lieutenant se lance aussi dans les trafics afin d'ajouter la richesse au grade. D'abord la récupération et la revente des stocks militaires (véhicules, outils, ferraille...), puis le regroupement des cadavres de soldats (enterrés un peu partout) dans des cimetières officiels. Une vaste entreprise - inspirée de faits réels ! - dans laquelle il va révéler toute l'étendue de son ignominie. Des soldats inhumés au hasard ("Nous ne savons absolument pas qui est qui !"), dans des cercueils trop petits, ou dans lesquels il n'y a que de la terre ("pour faire le poids"), et même des tombes françaises dans lesquelles on enterre... "des soldats boches" !..

 

Intrigue originale et émouvante, personnages parfaitement campés, dommage cependant que le style soit si dilué... De nombreux passages auraient pu, selon moi, être condensés. Ce roman m'aura néanmoins donné envie de prolonger le plaisir de lecture par le film !

Patricia Deschamps, novembre 2017

voir aussi "La chambre des officiers" de Marc Dugain
voir aussi "La chambre des officiers" de Marc Dugain

 

Un 2e conseil lecture pour 1 clic de plus !

Rue de Sèvres, 2015, 168 p.
Rue de Sèvres, 2015, 168 p.

L'adaptation BD de Christian de METTER

 

Mon avis (★★★★) : Bien que je ne sois pas du tout fan du graphisme, il faut reconnaître que cette mise en images du roman de Pierre Lemaître est une excellente adaptation, bien plus fidèle que le film. Les scènes vont à l'essentiel sans perdre en fluidité et les nombreuses vignettes sans paroles accentuent les émotions de l'histoire. Les couleurs très tranchées (à dominante de brun, de bleu ou de gris selon les passages) sont contrastées par un trait forci de noir, soulignant l'opposition drame/légèreté des épisodes. Si le personnage de Pradelle manque de mépris et de condescendance dans ses expressions faciales et que les "masques de carnaval" d'Edouard, supposé être un artiste talentueux, relèvent d'un niveau maternelle bien ridicule, j'ai beaucoup aimé les intrusions humoristiques de la mère d'Albert sous la forme d'un fantôme grincheux (dans le roman, ses remarques assassines hantent son fils). Un ensemble réussi, donc, et qui vient parfaitement compléter les deux autres médias.

Patricia Deschamps, décembre 2017


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