3 000 façons de dire je t'aime

roman de Marie-Aude MURAIL

Au théâtre comme en amour, "tu peux m'ouvrir cent fois les bras,

c'est toujours la première fois".*

L'école des loisirs, 2013, 266 p.
L'école des loisirs, 2013, 266 p.

Radicalement différents, Chloé, Bastien et Neville ont pourtant un point en commun : leur passion du théâtre. Une passion née un soir de représentation de Dom Juan de Molière, grâce à Mme Plantié, leur prof de français de 5e, surnommé "la folle" parce qu'elle n'aime que les histoires déprimantes qui finissent mal. Ce soir-là, les trois camarades de classe viennent au théâtre pour la première fois et tout les émerveille, du décor aux costumes en passant par le jeu des acteurs.


Dès l'année suivante, Chloé, Bastien et Neville se trouvent séparés. Chloé poursuit le théâtre, s'inscrivant à des cours plus décevants les uns que les autres. Les années passent, elle prend l'option au bac, s'inscrit ensuite au conservatoire d'art dramatique de la ville. Et quelle n'est pas sa surprise d'y retrouver les deux garçons qu'elle avait perdus de vue ! Contre toute attente, ces trois-là se réunissent pour répéter ensemble afin de travailler leurs points faibles : Chloé récite trop, Neville est inaudible et Bastien ne pense qu'à faire le clown ! Et pour espérer entrer au conservatoire, ils vont devoir avant tout travailler sur eux-mêmes... 

Mon avis :

Marie-Aude Murail est une grande dame de la littérature jeunesse que l'on ne présente plus ! Un des premiers auteurs que j'ai découvert, et je prends toujours autant de plaisir à la lire. Son dernier polar, Le tueur à la cravate, m'avait passionnée et j'ai été tout autant happée par l'histoire de ce trio attachant qui s'essaie au jeu théâtral, au point de nous donner envie à notre tour de monter sur les planches !

 

Au début, je me suis trouvée un peu déstabilisée dans le récit par l'alternance du "nous" et du "ils", comme si l'on était tour à tour à l'intérieur et à l'extérieur des personnages. Et puis j'ai compris progressivement que les personnages évoluaient au fil des années (on les suit sur six ans), passant d'une "juxtaposition de solitudes" à un trio amoureux inséparable. L'histoire, racontée par Chloé, se veut objective mais elle ne peut émotionnellement pas l'être puisque la jeune fille est directement impliquée.

 

Chloé est certainement celle à qui cette relation inattendue va le plus profiter. Fille d'enseignants, elle a une pression monstre : ses parents, qui l'ont inscrite en prépa littéraire, sont très exigeants concernant les résultats scolaires, et voient d'un mauvais œil ces répétitions théâtrales qui rognent sur les études. Si Chloé est si "gnangnante" lorsqu'elle récite ses répliques, c'est qu'elle ne sait pas lâcher prise. Bastien au contraire, est dans le refus de travailler. Ses talents comiques sont indéniables, mais comment progresser quand on refuse d'apprendre la moindre phrase ? Quant à Neville, c'est le garçon tourmenté par nature, qui noie ses problèmes familiaux dans l'alcool et la drogue. Il est tellement dans le déni de sa vie qu'il devient littéralement le personnage qu'il incarne - bref, un authentique tragédien ! Mais cette capacité à ressentir les émotions, cette sensibilité extrême en fait le plus talentueux des trois.

 

Neville devient d'ailleurs au conservatoire le "poulain" du prof d'art dramatique, Jeanson. Jeanson le mentor est celui qui révélera chacun des adolescents, les obligeant à se mettre à nu, notamment en avouant les sentiments qu'ils ressentent les uns pour les autres. Ses cours sont une immersion dans les grandes pièces classiques, de Lorenzaccio de Musset au Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, en passant par Le bal des voleurs d'Anouilh ou encore L'Avare de Molière. Le roman regorge de références littéraires sans que l'histoire en soit alourdie, l'auteur ayant l'art de glisser les grandes lignes de l'intrigue sans en avoir l'air. De même chaque titre de chapitre est tiré d'une pièce ou d'un poème, dont la liste est donnée à la fin du roman.

 

Cette immersion dans le monde du théâtre n'est pas dénuée d'humour ! Les premiers chapitres regorgent de scènes cocasses : entre la tentative désespérée de Mme Plantié pour faire jouer Roméo et Juliette à son club théâtre, les cours pathétiques d'improvisation (fantaisiste) que prend ensuite Chloé, puis son désœuvrement face aux incompréhensibles pièces contemporaines qu'elle prépare pour le bac, il y a de quoi se tordre de rire ! La petite Clélia aussi, sœur curieuse de Chloé, fait souvent des remarques naïves qui font sourire : "C'est lequel des deux que tu préfères ?", demande-t-elle lors des répétitions à trois. Et d'ajouter qu'on peut avoir plusieurs amoureux à la fois !

 

C'est d'ailleurs un sacré entrelacement de sentiments qu'éprouvent les trois héros, Bastien avouant le premier ce qu'il ressent à Chloé, bientôt suivi par Neville, qui n'est pas insensible non plus au charme de Bastien... tandis que Chloé la "rétractée" peine à (s')avouer ce qu'elle ressent pour l'un comme pour l'autre ! Autant d'hésitations qui les rendent bien attachants, ces trois êtres aux personnalités et aux milieux si opposés, qu'on n'aurait jamais imaginé s'apporter autant aux uns et aux autres. Jusqu'à ce que "le concept de nous trois" vole en éclat... pour l'équilibre de tous.


Un roman que l'on quitte à regret !

Décembre 2014

* citation inspirée d'une chanson de Jean Ferrat


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