Tant pis pour elle

roman de Valérie DAYRE et Pierre LETERRIER

N'y a-t-il eu qu'un glissement de jeu sordide dont tout le monde a perdu le contrôle ? Chacun poussé par l'autre un peu plus loin, chacun dépassé. Où finit le petit sadisme ordinaire, où commence l'ignoble ? Ce sadisme que chacun s'autorise, dans les relations familiales, amoureuses, professionnelles... Quand, comment, à force d'acceptation du mépris considéré comme une supériorité, de la désinvolture assimilée à la cool attitude, de l'indifférence à autrui confondue avec l'audace, de l'obligation où chacun se trouve d'endurer l'humour blessant, les méchancetés, les petits mauvais traitements - quand, comment franchit-on le pas vers l'intolérable ? Existe-t-il un seuil ?

La Joie de lire éditions, 2014, 250 p. (Encrage)
La Joie de lire éditions, 2014, 250 p. (Encrage)

La journaliste parisienne Rebecca May débarque à la veille de la Toussaint dans la petite ville paumée de Montchalin, "le trou du cul du monde" afin de réaliser deux reportages sans grand intérêt à la demande de sa tache de rédac' chef. Elle s'installe à l'Hôtel des Voyageurs "avec ses airs de belle fille sûre d'elle" et la ferme intention de repartir à Paris dès ses interviews terminées.


Malheureusement pour elle, un double meurtre est commis le lendemain dans les anciennes tanneries du manoir Delavoy... Un meurtre barbare qui reproduit la macabre mise en scène d'un cas non élucidé dans la même ville quinze ans plus tôt : celui de la petite Rombier retrouvée pendue dans le cinéma, des photos de son chat dépecé à ses pieds... Un meurtre qui concerne directement Rebecca car la jeune femme habitait Montchalin à l'époque...


Le commissaire Adam Kantowicz, dépêché sur les lieux et persuadé que les deux affaires ont un lien, décide d'interroger la petite bande qui faisait sa loi à l'époque : Xavier Delavoy dit le Ténébreux et son allié Eugène (Génie) Plantin...

Mon avis :

Voilà un roman policier qui m'a beaucoup déstabilisée car très différent de ce que j'ai pu lire dans le genre en littérature jeunesse ! Je me suis d'ailleurs longtemps demandé si je l'avais aimé ou pas... Et j'ai fini par décider qu'un livre qui surprend ne peut être mauvais !

C'est en fait le style d'écriture qui m'a surprise, avec son langage cru et ses phrases nominales qui saccadent le texte comme des tirs de revolver. On a l'impression d'être dans un authentique polar, avec des personnages torturés et une ambiance gothico-gore, sans oublier le personnage du vieux (détective) privé qui a roulé sa bosse en la personne de Kantowicz. Ajoutez-y une héroïne de vingt-quatre ans et vous avez tous les ingrédients d'un roman noir pour adultes - pas sûr que les adolescents s'y retrouvent.

 

Toute la première moitié consiste en la mise en place de cette atmosphère très sombre, voire glauque. Le roman s'ouvre sur le manoir de Xavier Delavoy, cette "demeure de maître délirante mêlant les matériaux et les styles", habitée par un propriétaire mystérieux surnommé le Ténébreux qui est le sosie d'une ancienne star de cinéma célèbre pour son incarnation de Lo Vampire et mystérieusement disparue. Avec son homme à tout faire Chanloué, sorte de Quasimodo attardé, et cette sordide affaire de loup éventré retrouvé quelques mois plus tôt dans les tanneries à l'abandon du manoir, l'homme et le lieu concentrent les éléments d'un folklore local qui délie toutes les imaginations. Il est dès lors dommage que l'arrivée du commissaire Kantowicz fasse basculer le roman dans une facture plus classique, avec une enquête et une résolution redevenues traditionnelles alors même qu'on s'était habitué à ce style si particulier.

 

A noter aussi dans ce polar, le choix du point de vue multiple qui donne la parole à plusieurs protagonistes : Rebecca May naturellement, mais aussi la jeune Zoé fille des hôteliers, le tueur lui-même, Isabelle la femme de ménage, le commissaire Kantowicz et même une vieille commère témoin dans l'affaire du double meurtre. Il en résulte un récit dynamique, dans lequel malheureusement le lecteur finit par en savoir plus que les protagonistes : on comprend qui est le coupable bien avant la fin, celle-ci étant d'ailleurs un peu expédiée, et à peine compensée par des remerciements originaux écrits par l'héroïne. Une opinion partagée donc, pour cette lecture à réserver aux plus grands.

Patricia Deschamps, janvier 2015


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