Plus froid que le pôle Nord

roman de Roddy DOYLE

Flammarion, 2016, 261 p. (Tribal)
Flammarion, 2016, 261 p. (Tribal)

Erin n'a pas vu sa mère depuis des années. Depuis que Rosemary les a quittés, son père et elle, pour aller s'installer à New York.

Et voilà qu'un jour Rosemary se manifeste enfin, émettant le désir de renouer avec sa fille.

 

Pour Sandra, la belle-mère d'Erin, hors de question d'assister à ses "retrouvailles". En accord avec le père de celle-ci, elle décide donc de partir en voyage tout au nord de la Finlande avec leurs deux fils, Johnny et Tom.

 

Une fois sur place, le séjour débute par une balade en chiens de traîneau qui enchante les garçons. Mais une telle expédition n'est pas sans danger...

Et pendant ce temps, Erin découvre cette mère qui l'a abandonnée...

Mon avis :

Un roman à la croisée de plusieurs genres et thématiques.

Vu la quatrième de couverture, on s'attend à une aventure dans le grand froid empreinte de suspense. Il faut en réalité attendre le dernier tiers du livre pour que l'événement annoncé survienne... Ne vous y fiez donc pas !

Car cette histoire est avant tout celle d'une famille recomposée. Les premiers chapitres, dont l'action est régulièrement interrompue par des flashbacks, nous dressent le portrait des principaux protagonistes. L'action, c'est cette tasse jetée par Erin à la tête de sa belle-mère - le geste de trop, celui qui enclenche le départ de Sandra et ses deux fils.

Nous voilà donc au fin fond de la Finlande froide et enneigée, aux abords d'une forêt de sapins et d'un lac gelé : le climat, le décor, on s'y croirait ! Sans oublier l'impressionnant "homme des chiens" et sa meute de huskies - des personnages à part entière ! Notamment Rock, le meneur, dont le regard hypnotique, presque humain, rappelle celui de Loup Bleu dans L'oeil du loup. Ambiance roman d'aventure, donc, autour de Johnny et Tom qui se chamaillent gentiment sous le regard mi-rieur mi-protecteur de leur mère. On sent entre eux trois un amour sincère et profond, une certaine complicité également.

Du côté d'Erin, l'ambiance est au contraire très tendue. L'adolescente déborde de colère, comme en témoignent les courts textes adoptant son point de vue venant s'insérer dans le récit principal. Une colère, un mal-être, directement liés à l'abandon de sa mère, comme on le comprend peu à peu. Malheureusement les retrouvailles ne se passent pas comme elle s'y attendait : "Je croyais qu'il suffirait qu'on se voie" mais en réalité, cette discussion, "c'est juste de la merde", notamment parce qu'elle ne pense pas Rosemary sincère dans ses propos. Ce que voudrait Erin, c'est comprendre : "Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi es-tu partie ?". Mais pour que sa mère dise les choses en toute honnêteté, encore faut-il qu'elle traite sa fille "en égale".

Même réflexion chez Tom, qui apprécie Kalle (le propriétaire des chiens) aussi parce qu'il ne le traite pas "en bébé". Et quand l'incident survient, le petit garçon déplore : "Les enfants n'ont pas besoin qu'on les traite en enfants, d'après l'idée que la plupart des adultes se font des enfants, c'est-à-dire des êtres idiots." Et c'est ainsi que se tisse, tout au long du roman, un réseau de correspondances entre les deux récits en apparence indépendants. Les personnages de Sandra et Rosemary, par exemple, se font écho par opposition : l'une est une mère aimante, présente, joueuse et attentionnée, alors que l'autre représente l'absence, l'abandon voire la démission (de son rôle). Et puis tandis que l'une surgit, l'autre disparaît. Les frères et Erin partagent dès lors un objectif commun : retrouver leur maman, au sens propre, et au sens figuré. On bascule dans le roman d'initiation, les uns réalisant un dépassement de soi au travers d'un long voyage dans la neige et la nuit, tandis que l'autre effectue un parcours davantage psychologique afin d'exorciser les interrogations qui la hantent depuis toujours.

Les trois enfants sortiront transformés de leur épreuve respective, Erin apaisée et les garçons plus matures ("ils le firent sans se disputer"), et la famille toute entière s'en sentira plus soudée. Une belle histoire au cœur de l'hiver, qui associe courage et sensibilité.

Patricia Deschamps, février 2016

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