Le palanquin des larmes

autobiographie de Chow Ching Lie

J'ai lu, 2008, 413 p.
J'ai lu, 2008, 413 p.

 

Choisie pour son exceptionnelle beauté, Chow Ching Lie est contrainte d'épouser à l'âge de 13 ans l'héritier d'une des plus grosses fortunes de Shanghaï. Elle incarne ainsi, sous le règne de Mao Tsé-Toung, le drame de la femme chinoise et de son asservissement séculaire. 

 

Heureusement, son don pour la musique la sauve. Envers et contre tout, elle poursuit ses cours de piano et entre au Conservatoire. Artiste et virtuose, elle voit alors s'ouvrir à elle une carrière internationale.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

25 ans après Le Palanquin (vidéo ina.fr)
25 ans après Le Palanquin (vidéo ina.fr)

Le sort d'une Chinoise au milieu du 20e siècle, entre vie personnelle et contexte politique.

Née en 1936, Chow Ching Lie grandit à une époque où "il était préférable de ne pas faire étudier les filles: instruites, elles se seraient mises à penser et peut-être même à se révolter. On ne leur demandait que d'être parfaitement soumises". Dans cette Chine pétrie de croyances et de superstitions où l'on ne peut lutter contre des pratiques arriérées, les femmes sont insignifiantes, esclaves de leur famille puis de leur belle-famille. La mère de Lie, paysanne inculte, est une porte-parole intransigeante de ces traditions ancestrales pesantes.

 

Heureusement son père Wei Hi est un homme doux et raffiné, un enseignant aux pratiques plus modernes. Lie et lui sont très proches mais il ne pourra longtemps résister aux tractations qui s'enclenchent dès les premiers signes de puberté chez sa fille, très belle et convoitée ("Qu'une fille comme toi vive dans le souci continuel du manque d'argent, ce serait vraiment trop injuste!"). Dès lors l'adolescente n'a pas d'autre choix que de se soumettre à son destin... Un destin dépendant de la politique du pays puisque la fillette est née à un moment charnière de l'histoire de la Chine. En effet, après une interminable guerre civile entre les armées de Tchang Kaï-chek et de Mao Tsé-toung, ce dernier finit par vaincre et prendre le pouvoir, entamant une longue et fastidieuse purge "des usages féroces et anachroniques". Chow Ching Lie interrompt donc régulièrement son autobiographie pour expliciter les changements politiques qui ont impacté sur sa propre existence et celle de ses proches.

 

L'épisode de son mariage forcé à l'âge de 13 ans avec le maladif (mais riche) Liu Yu Wang est sûrement le passage le plus saisissant de son récit. La préparation du trousseau, la cérémonie interminable et éprouvante avec notamment la salutation aux ancêtres (pas moins de cinquante couples devant lesquels s'agenouiller trois fois!) et la salutation du vin (trinquer et boire avec chacun des convives!..) et la terrible nuit de noces dans l'ignorance complète de la sexualité: chaque étape est "codifiée par l'usage", épuisante, humiliante. Et surtout, la séparation d'avec sa famille (son grand frère Ching Son et sa petite sœur Ching Lin, "mon cœur et mon sang"), déchirante. Heureusement il y a la pratique du piano, découverte très jeune et avec émotion, et encouragée par un mari somme toute bienveillant. La musique occupe une place inégale dans la vie de l'héroïne mais elle reste en filigrane.

 

La mise en place progressive du communisme provoque un bouleversement dans l'existence de Lie et de toutes les femmes chinoises: l'ère Mao marque la fin des mariages arrangés mais aussi d'une prostitution cause de violences souvent mortelles ("Shanghaï était une capitale mondiale du vice"). Cependant les mentalités sont longues à changer. Par ailleurs, avec le recul du capitalisme américain (qui a fait la richesse de son bourgeois de beau-père) disparaissent certains privilèges. Ce qui était au départ des changements bénéfiques ("le grand nettoyage" des milieux corrompus) se transforme peu à peu en Etat nationaliste et dictatorial. Entre larmes et détermination, la jeune Lie s'adapte, se bat, traçant son chemin vaillamment jusqu'à ce que les circonstances la mènent en France.

Un parcours à la fois terrible et fascinant, à poursuivre avec Dans la main de Bouddha.

 

Patricia Deschamps, janvier 2020



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