Le mort du noyer

roman de Claire MAZARD

- My... Goooooood ! s'écria Lilyane Latrand, professeure d'anglais à la retraite.

De toute sa carrière d'enseignante, de toute sa longue existence - elle avait quatre-vingt-cinq ans -, il ne lui était jamais rien arrivé.

- My Goooooood !

Il lui arrivait enfin quelque chose.

Dans le jour naissant, sa silhouette s'écroula.

Prince Charles resta saisi un instant puis aboya de toutes ses forces. Waouf ! Waouf ! Ce qui veut dire en langage chien de professeur d'anglais : «My Goooooood !»

C'était un yorkshire bien élevé. Lilyane Latrand lui avait appris à ne pas faire «son pissou» sur les tapis.

Était-ce le choc ? La vue de sa maîtresse étendue soudain sur le sol ? Ou celle du cadavre, gisant, nu, sous le noyer ? D'émotion, il ne put se retenir. Pour la première fois de sa vie, il déversa une longue rigole sur le tapis de... feuilles mortes.

Seuil 2011
Seuil 2011

Résidence des Cimes bleues, maison de retraite luxueuse nichée à Issinjean, dans les montagnes d'Auvergne. Ce matin-là, l'une des pensionnaires, Lilyane Latrand, découvre le cadavre d'un homme sous le noyer ancestral de la propriété, Dionysos. Le commissaire Gilles Lafosse est envoyé sur place.

 

Assez rapidement, Lafosse va se trouver dépassé par cette enquête hors du commun. Le lieu, d'abord, est déstabilisant : rempli de "petits vieux" plus ou moins excentriques, accompagnés de leurs chiens (oui, les animaux sont autorisés !), à l'image de ce trio infernal passionné d'enquêtes policières qui joue les détectives amateurs. Le nombre impressionnant de suspects possibles : cinquante-trois pensionnaires, le directeur, la comptable, le jardinier, le gardien, plus les apprentis que les Cimes bleues recrute auprès du lycée hôtellier et horticole voisin ! L'absence totale d'indices enfin, car l'orage qui a éclaté le soir du meutre a effacé toutes les traces possibles...

 

Oui, l'enquête est difficile pour le commissaire Lafosse... Il n'arrive même pas à identifier le mort ! Et puis pourquoi celui-ci est-il entièrement nu ? Quelle est l'arme du crime ? Pourquoi le veilleur de nuit n'a-t-il rien vu rien entendu ? Et ses satanées montagnes qui l'oppressent...

Mon avis :

Beaucoup d'humour dans ce roman policier, que j'ai choisi pour son décor insolite. Ce n'est pas souvent qu'une intrigue se déroule en maison de retraite ! Les pensionnaires (humains et canins) sont désopilants et on sent que l'auteur prend plaisir à accentuer leurs traits de caractère jusqu'au ridicule. Le "trio infernal" notamment, constitué de deux mémés "Miss Marple" et un pépé "Simenon", mais aussi le direc-Thor (Thor, c'est son nom), barraqué et menaçant comme un bouledogue, en passant par l'écrivain Alex Sandre, venu se réfugier à l'hôtel du village pour écrire son prochain best-seller en toute tranquillité, tous les personnages ont un côté théâtral très prononcé. Le style est d'ailleurs riche en phrases nominales, Claire Mazard enchaînant les scènes sans transition.

 

L'enquête, par contre, est plutôt décousue. Le récit, comme le commissaire, piétine et on finit par se détacher de l'intrigue policière. Pas sûr que des adolescents y trouvent leur compte, difficile de s'attacher à ce policier déprimé qui pleure son amour envolé et qui se laisse "noyer" par l'enquête plus qu'il ne la mène. Pas sûr non plus que des jeunes adhèrent aux personnages des retraités, aussi drôles soient-ils.

 

Heureusement la fin est sympa, même si on la voit venir tant on nous a répété que dans un récit policier, il ne faut pas "se laisser piéger", et même si personnellement j'aurais zappé l'épilogue.

Patricia Deschamps, mars 2013


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