Faut jouer le jeu

roman d'Esmé PLANCHON

- Sélection du Prix des Lecteurs en Seine 2016 -

ENTRONS DANS LA FICTION

Un jeu pour tous ceux qui aiment les histoires.

Le terrain de jeu, c'est le lycée.

Le but du jeu, c'est que la fiction surgisse dans la vie quotidienne.

On joue tout le temps, on ne s'arrête jamais, et tous les prétextes sont bons.

L'Ecole des loisirs, 2014, 153 p.
L'Ecole des loisirs, 2014, 153 p.

Entraînée par sa copine Violette à la soirée des Terminales L, Solange s'ennuie. Jusqu'à ce qu'elle se réfugie dans la cuisine où elle surprend un drôle de jeu entre Armand, qui est dans sa classe, et son jeune frère Gabriel, en seconde.


Les deux garçons s'amusent à "Entrons dans la fiction", un jeu de leur invention qui consiste à glisser de la poésie dans le quotidien en donnant vie à des livres ou des films.


Solange est aussitôt séduite par ce jeu qui célèbre le pouvoir de l'imagination. Embarquée par les garçons, elle s'amuse avec eux à transformer les différents endroits (mortels) du lycée en "lieux de magie".


Mais Violette s'inquiète de voir son amie prendre de la distance... D'autant plus qu'il y a le bac à passer et le choix d'études supérieures à décider. En jouant à "Entrons dans la fiction", Solange n'est-elle pas en train de fuir la réalité ?

Mon avis :

Une ode aux jeux d'imagination et leur pouvoir de métamorphose du quotidien !

Qui n'a jamais joué à "on-dirait-que" étant plus jeune ? Et pourquoi étouffer l'enfant qui est en nous une fois devenu adulte ? Voilà la sympathique idée de départ de ce roman. Sympathique, mais aussi un peu loufoque, et l'état d'esprit du lecteur oscille constamment entre se laisser séduire par cette idée romanesque, et plus rationnellement, de rejeter ce qui ressemble à un délire un peu puéril.

Armand et Gabriel sont deux originaux (l'un s'habille tout en noir, l'autre au contraire arbore des tenues colorées improbables) qui évoluent dans leur propre monde, à l'écart des autres. Ils ont du mal à "habiter dans le monde réel" et passe leur temps à jouer des scènes de livres ou à vivre les films qu'ils regardent. Pour eux, chaque événement, chaque lieu, chaque discussion est l'occasion de "distiller du formidable". Une attitude anticonformiste qui suscite bien sûr de vives réactions chez leurs camarades...

On devine progressivement que pour ces deux frères le jeu est une échappatoire - à l'ennui, mais aussi aux moqueries, aux insultes et même au deuil... A l'origine du jeu, un "dégoût du monde" qui ne laisse "aucune place pour le jeu, pour la fiction, bref, pour ce qui nous rend heureux". Et la conseillère d'orientation qui en rajoute avec ses choix post-bac remplis de mots vides ("classe préparatoire", "filière d'excellence", "débouchés"...) qui ne servent qu'à "promouvoir la réalité" ! Un monde réel "ennuyeux à mourir", tellement éloigné des "choses belles"...

Ce pouvoir à transformer la morose réalité qu'ont Armand et surtout Gabriel, fascine Solange et quelques autres émules (y compris des adultes). Car loin d'être une simple lubie, "Entrons dans la fiction" est avant tout un choix de vie. Si certains ne trouvent pas très sain d'inventer des moyens "pour fuir la vraie vie", il s'agit avant tout pour notre trio de faire en sorte "que tous les moments soient importants" et surtout d'être en harmonie avec ce que l'on aime - faire et être. Précisons que l'histoire se déroule dans un lycée parisien où "tout le monde est convaincu d'être si intelligent et cultivé" que le moindre écart de conduite ou de pensée est farouchement désapprouvé. Or ce que condamne notre trio, c'est justement la bêtise et le conformisme, l'essentiel pour eux étant de se demander si l'on prend vraiment plaisir à mener la vie que l'on mène...

Ce roman riche en références littéraires se clôt sur une fin habile, juste équilibre entre une prise en compte de la dure mais inévitable réalité, et la fidélité de l'héroïne à son nouveau mantra emprunté au poète allemand Hölderlin : "Toujours vivre en état de poésie"...

Patricia Deschamps, octobre 2015

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