Bouche cousue

roman de Marion MULLER-COLARD

Tous les dimanches, j'arrive méticuleusement en retard. Par dévouement envers mon aînée. Pour la hisser plus haut sur son podium. J'ai admis depuis longtemps que ma médiocrité lui sert de marche pied.

Gallimard, 2016, 98 p. (Scripto)
Gallimard, 2016, 98 p. (Scripto)

Comme chaque dimanche, Amandana, 30 ans, retrouve sa famille pour le déjeuner, davantage par obligation que par plaisir : célibataire, au chômage, elle n'a jamais pu rivaliser avec la "perfection" de sa sœur aînée.

 

Mais ce jour-là, l'atmosphère est encore plus tendue et glaçante que d'ordinaire : le neveu de "Amande", Tom, qui a 15 ans et qui est le seul qu'elle apprécie vraiment, a embrassé un garçon... Ce qui horrifie ses parents et lui vaut une gifle monumentale de son grand-père.

 

Alors Amande décide d'écrire, pour Tom autant que pour elle, un épisode déterminant de sa propre adolescence. Car c'est sa propre histoire qui se répète à travers cette gifle, lorsqu'à 15 ans, elle est elle-même tombée amoureuse d'une fille...

Mon avis :

Un roman court mais intense.

Cette histoire (tout au moins celle d'Amandana à 15 ans) est celle d'une jeune fille perdue cherchant son identité. Chez elle, aucune communication, des parents et une sœur distants (au sens propre comme au figuré), trop pris par leurs propres préoccupations : "Dans ma famille, on ne pleurait pas davantage qu'on ne riait". Alors Amandana trouve refuge chez Marc et Jérôme, couple homosexuel qui va progressivement lui donner le sentiment "d'être quelque part chez moi". Un peu d'écoute, de réconfort : les deux hommes lui apportent ce qu'elle n'a pas chez elle. Et elle a bien besoin d'attention, "Amande" (comme ils l'appellent) !

Fragile, sensible, elle ne se sent pas à l'aise dans son corps de fille. C'est tout du moins ce qu'elle pense dans un premier temps, s'amusant en cachette à enfiler les vêtements (d'homme, entre autres) oubliés dans le Lavomatique de sa mère. Et puis au fil des répétitions avec Marie-Line, elle réalise son attirance pour sa camarade. Mais comment accepter ce que l'on est, ce que l'on ressent, quand on sent peser sur soi "les regards, les rires étouffés", voire une "coalition" des élèves de sa classe?

Dès lors Amandana n'a d'autre choix (pense-t-elle) que de vivre avec sa souffrance, exprimant à travers le chant et donc les paroles des autres, ce qu'elle ne peut livrer avec ses propres mots : "Je suis oppressée par un tourment que je n'ose confesser. (...) On pouvait changer de vie, mais on ne pouvait pas sortir de soi"...

Le récit est touchant, écrit avec pudeur. Cependant, à force de non-dits, de sentiments qui ne sont pas clairement exprimés, le risque est que les jeunes lecteurs ne comprennent pas toute la subtilité d'un texte qui demande une certaine maturité pour être pleinement apprécié. D'autre part, il est dommage que ce sentiment dominant de tristesse perdure jusqu'à la fin... Fin désabusée, car en réalité, Amandana a cessé de vivre ce fameux jour où elle aussi s'est reçu une gifle (et tout ce qu'elle symbolisait). Reste l'espoir que sa confession à Tom encourage son neveu à ne pas reproduire la même erreur qu'elle (refuser de s'imposer)...

 

Patricia Deschamps, avril 2016

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